dimanche 30 octobre 2011

F comme Favoris

"Je veux mon droit, une Égypte islamique" (Crédit: "Vues d'une Révolution")
« Le résultat des élections en Tunisie sera celui que l'on aura en Égypte. » Pour l'animateur Amr Adib, du très regardé talk-show « El Qahera el Yom » (« Le Caire aujourd'hui ») sur la chaîne satellite Orbit, l'issue du prochain scrutin parlementaire en Égypte ne fait pas de doute.
La majorité obtenue par le parti Ennahda en Tunisie après les dernières élections pour l'Assemblée constituante devrait donc, selon lui, être identique à celle qui sortira du scrutin parlementaire qui doit débuter le 28 novembre prochain. C'est-à-dire à celle des Frères musulmans.
Mais au-delà du désir d'affirmer les valeurs islamiques dans la société, la population égyptienne voit aussi dans l'option des Frères une volonté de poursuivre la révolution entamée le 25 janvier dernier. La préoccupation est de contribuer, par ce choix moral, au combat contre la corruption, devenue une véritable règle de fonctionnement du pays sous Moubarak. L'Égypte attend ainsi davantage de discipline des dirigeants et surtout plus de justice sociale.
Dans la rue, les hommes à barbe longue se font de plus en plus nombreux depuis neuf mois, traduisant une métamorphose attendue de la société civile égyptienne. Toutefois, pour Amr Zoheiri, chercheur en sciences de l'information, « une victoire des Frères aux élections parlementaires ne va pas faire plonger l'Égypte dans l'obscurantisme du jour au lendemain » : « Ils vont d'abord appliquer leurs idées de manière très souple par des alliances avec des forces de gauche. Il y aura par ailleurs une préoccupation d'ordre économique : l'Égypte, qui recevait 15 millions de touristes l'année de dernière, ne peut pas se passer de cette manne en mettant le rigorisme en avant. »
Si en Égypte la charia est une des sources du droit, « il faut observer que les Frères musulmans, qui détenaient 88 des 444 sièges (20 %) de l'avant-dernière Assemblée du peuple, n'étaient pas si politiquement actifs que ça, même s'ils avaient mis en œuvre d'importants moyens pour leur campagne électorale en 2005 », remarque Ahmed Mahmoud, informaticien.
Sans compter que des obstacles se présenteront aux Frères et à leur projet, car « le système le plus acceptable pour les Égyptiens est le système parlementaire en vigueur de 1919 à 1952, avec une démocratie qui fonctionnait grâce à une forte présence de différents partis », estime Amr Zoheiri.
Un modèle citoyen qui est n'est en fin de compte pas étranger à l'Égypte.

(Article initialement écrit pour la presse)

dimanche 17 juillet 2011

Encore beaucoup de colère

La période de grâce touche à sa fin pour le Conseil suprême des forces armées, au pouvoir en Égypte depuis la chute de Moubarak, le 11 février. Lenteur du jugement des anciens caciques, violences policières qui se poursuivent, multiplication des procès militaires pour les civils, droits de l'homme bafoués avec le scandale des tests de virginité… Pour les manifestants, et la Coalition des jeunes de la révolution en particulier, le gouvernement de transition n'est encore qu'une façade civile de l'armée, comme toujours depuis l'époque de Nasser. Alors, depuis une semaine, pour faire entendre leur colère face à cette résistance au processus démocratique, les Égyptiens sont à nouveau dans la rue. « Il y a en plus cette main invisible, celle de l'ancien régime, qui veut conserver ses privilèges. Il est temps que l'armée l'éradique », estime Galal Hamdi, ingénieur d'une trentaine d'années, après sa sixième nuit sur la place Tahrir.
Les manifestants à nouveau dans la rue (AFP)
En cinq mois, les manifestants ont retenu une leçon : aucune de leurs revendications n'est obtenue spontanément, seule la pression populaire est fructueuse. De fait, en l'espace de quelques jours, déclarations officielles et conférences de presse se succèdent pour calmer la rue. Elles peuvent susciter la défiance, comme mardi 12 juillet, avec la mise en garde de l'armée « contre toute personne qui troublerait l'ordre public et les services de l'État », en référence aux menaces de blocage du canal de Suez, des grands axes routiers et des bâtiments administratifs. Mais aussi une certaine satisfaction, suite à la conférence de presse, le 13 juillet, du ministère de l'Intérieur annonçant enfin, après un premier affront au Premier ministre, « une purge historique » des 4 000 officiers de police. « 505 généraux et 82 colonels ont été démis de leurs fonctions, dont 27 généraux accusés d'avoir tué des manifestants », a-t-il déclaré.

Procès télévisés « en direct »
En quelques jours, les manifestants ont aussi obtenu que les procès des responsables de l'ancien du régime soient télévisés « en direct », et l'accélération de la justice sur ces questions. « Le fossé entre les manifestants et le pouvoir - armée et gouvernement - reste important, mais l'on va vers un apaisement », estime Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l'université du Caire. « D'autant que les élections législatives, prévues pour septembre, viennent d'être reportées au mois de novembre. Cela permettra aux partis politiques de se renforcer, et cette décision soutient en quelque sorte les mouvements laïques au détriment des Frères musulmans, qui réclament des élections rapides pour tirer profit de leur capital de sympathie », ajoute-t-il.
Plus largement, ces nouvelles concessions indiquent, selon Samer Soliman, militant au Parti social-démocrate égyptien et professeur d'économie politique à l'Université américaine du Caire, que « l'armée a compris, après des années d'un exercice exceptionnel du pouvoir, que ce monopole est fini et qu'il faut laisser la place aux civils ». Ce qu'elle cherche maintenant, « c'est conserver un pouvoir de veto, avec par exemple un article dans la future Constitution qui lui accorderait une sorte d'immunité sur son budget », explique-t-il. L'armée pourrait aussi, comme le réclament les mouvements laïques, « se voir confier la tâche de garantir la nature "civile", c'est-à-dire semi-laïque, de l'État », poursuit Soliman.
Quant aux candidats les plus connus à la présidence de la République, les ex-diplomates Amr Moussa et Mohamed el-Baradei, ils brillent surtout par leur silence. Pour Hicham Mourad, « c'est qu'ils attendent l'issue de la crise actuelle pour saisir les bonnes opportunités en fonction de leurs intérêts ».

 (Article initialement écrit pour la presse française)

mardi 28 juin 2011

Mickey et la laïcité

Les images du scandale
Alors qu'il s'était retiré quelques jours dans le village d'El Gouna bâti par son frère sur la Mer rouge, Naguib Sawires, le magnat des télécommunications égyptien propriétaire d'Orascom Telecom, businessman adulé dans le pays car doté d'un esprit jugé "propre" loin des multiples affaires de corruption, aurait préféré que son message sur Tweeter ne vienne pas gâcher son paisible week-end.
Car mal lui en a pris de joindre à un "Tweet" probablement envoyé depuis une chaise longue au bord de sa piscine, une photo d'un Mickey barbu accompagné de Mini vêtue du Niqab, avec comme légende : "Voici les visages de la nouvelle Égypte". Une image qui faisait le tour du monde depuis des mois sur internet, mais il n'empêche que la réaction n'a pas tardé: en début de semaine, et malgré ses excuses, le voilà convoqué chez le procureur général, suite à la plainte d'une quinzaine d'avocats Salafistes outrés que l'Islam puisse ainsi faire l'objet de plaisanterie. L'incident illustre bien le climat de tension politico-religieuse qui règne dans le pays, alors que le débat fait rage sur la future nature du nouvel État, dont la constitution reste encore à écrire.
Sawires, de confession copte, vieux requin des affaires mais jeune poulain en politique, a créé un nouveau  parti ("Les Égyptiens Libres") au lendemain de la chute de Moubarak, après avoir habilement manœuvré pendant les révoltes populaires pour garder patte blanche. Le voilà donc devenu une cible de choix pour ses adversaires islamistes. Surtout qu'il s'affiche résolument en faveur d'un État laïque. 
Un quoi? Le mot est pour le moment inconnu dans le vocabulaire égyptien. Les Talk-Shows télévisés et les articles de presse parlent plutôt d'un "État Civil" pour faire référence à la laïcité. Car en Égypte, s'imaginer sans religion est encore un concept qui dépasse l'entendement, un concept plongé dans les abysses les plus profondes si tant est qu'il existe. Alors il faut jouer avec tact sur les mots pour se faire comprendre sans susciter l'horreur et inévitablement la qualification de mécréant, insulte ultime en terre des Pharaons.
L'intensité du débat sur la future nature de l’État égyptien a fait réagir il y a quelques jours Al-Azhar, la plus haute institution de l'Islam sunnite, dans une déclaration jugée révolutionnaire par divers commentateurs . Pour elle, un "État civil" est possible en Égypte, si et seulement si la source de la législation se fonde sur la Charia. Avec cependant la possibilité pour les autres communautés religieuses d'avoir des tribunaux spéciaux pour juger des affaires de statut personnel. C'est un pas en avant minime destiné à se sortir du bourbier actuel, qui a aussi le mérite de laisser entrevoir un soupçon de laïcité. Mais difficile encore de voir comment un État laïque peut reposer sur une base religieuse. C'est que les voix du Seigneur sont impénétrables.    

mercredi 1 juin 2011

Le blackout de la presse

"La nature a horreur du vide" disait le philosophe grec Aristote. Son aphorisme pourrait aussi s'appliquer aujourd'hui aux médias égyptiens. Car depuis la chute de Moubarak, et surtout ces dernières semaines, aucun des grands titres de presse ou presque, n'ose émettre une once de critique à l'égard des forces armées au pouvoir depuis le 11 février. Comme si, effrayée de prendre son envol et ne sachant que faire de cette nouvelle liberté, le plus rassurant pour elle ne serait qu'un autre cocon autoritaire qui briderait fort heureusement son émancipation. Ces jours-ci, la presse nationale excelle surtout dans la propagation d'informations non sourcées, qui prennent vite la forme de rumeurs extravagantes par un bouche à oreille forcené - caractéristique du Moyen-Orient - avant de sombrer tout aussi rapidement dans l'oubli. 
L'armée se dit proche des jeunes en communiquant aussi sur Facebook
Mais revenons à nos moutons. Puisque la presse égyptienne refuse de traiter les centaines de traductions en justice militaire de simples civils, et après la journée contre le Conseil Suprême des Forces Armées, les blogueurs ont décrété ce 1er juin "Journée nationale contre les procès militaires".
Le sujet des brutalités de l'armée et les procès qui s'en suivent, a été ravivé le 31 mai quand la chaîne d'information américaine CNN a diffusé un reportage sur les tests de virginité pratiqués il y a deux mois sur de jeunes activistes, et justifiés par un haut gradé "pour s'assurer qu'elles n'avaient pas été violées par un soldat". Le conformisme de la société égyptienne, qui ne conçoit les relations sexuelles que dans la pureté des liens du mariage, n'a d'égal que le culot de ce genre d'arguments. Le but de ces tests était en réalité de démontrer que la promiscuité entre hommes et femmes dans les tentes installées place Tahrir développait la décadence de la jeunesse, qui serait alors frappée d'opprobre sociale.
Selon les statistiques difficilement établies par les manifestants et ONG, il y aurait entre 6000 et 7000 activistes pro-démocratie en ce moment dans les prisons militaires, sans compter les jeunes disparus que l'on recherche encore. Ils devraient tous être soumis à la justice martiale, et quand l'indignation se fait trop bruyante chez les blogueurs et journalistes, les voilà immédiatement emmenés chez les généraux. C'est le cas de Reem Maged, l'intrépide qui a fait preuve d'un criticisme "déplacé" dans son Talk Show sur le chaine satellite OnTV. Elle a été libérée après quelques heures d’interrogatoire.
Dans ces conditions les (pas si vieux) réflexes de l'autocensure se rétablissent tout naturellement et "le journalisme de pyjama" parait est une option plus tranquille pour ceux qui n'hésiteront pas à se prévaloir bientôt d'une nouvelle avancée vers la démocratie. Il en va ainsi de la "révolution" en Égypte: l'inconsistance d'une certaine élite ne relaie pas l'enthousiasme de la jeunesse, qui refuse depuis vendredi 27 mai tout dialogue avec l'armée.


lundi 23 mai 2011

La deuxième révolution est en marche

"Les Moubarak et les membres de son régime corrompu sont jugés devant un tribunal civil. Tandis que les civils et autres activistes pacifistes sont envoyés aux tribunaux militaires". S'il fallait résumer en quelques mots l'indignation de la population égyptienne quant aux agissements du Conseil suprême des forces armées qui dirige le pays depuis le 11 février, cela tiendrait à cette phrase bien souvent entendue. Alors ce 23 mai est décrété par les blogueurs d’Égypte "Journée nationale contre l'armée". C'est bien légitime de la part d'une population asphyxiée - voire presque politiquement lobotimisée ces 30 dernières années - et qui se retrouve prise, dans cette période de profondes mutations, dans le même étau par une équipe de généraux au bras long qui ne connaissent pas la pré-retraite. Plus de 800 morts et près de 6000 blessés souvent très graves lors du soulèvement, et l'armée doute encore de la détermination des jeunes révolutionnaires à vivre dans une dignité balayée d'une revers de crosse à maintes reprises depuis 3 mois. 
Le départ du Maréchal Tantawi est réclamé.
Amnesty International sonne l'alarme depuis plusieurs semaines: elle accuse les "autorités égyptiennes de torturer les détenus". Pour l'ONG basée à Londres, il est indispensable pour les manifestants de voir que "leurs sacrifices ne sont pas vains et que la machine de la répression est éradiquée". Pour illustrer ces violations, il y a le cas Amr Al-Beheiry battu par la police militaire et arrêté alors qu'il manifestait pacifiquement devant le parlement le 26 février puis soumis avec ses cousins diverses électrocutions. Le 1er mars il a été condamné à 5 ans de prison pour non respect du couvre-feu, qui comme beaucoup le savent n'a jamais été vraiment respecté. 
Autre cas extrême, la condamnation à mort d'un mineur par un tribunal militaire, qui a d'ailleurs fait sortir de ses gonds la représentation en Égypte de l'Unicef, organisation des Nations Unies dédiées à la protection de l'enfance. De son côté, l’ONG « l'Initiative égyptienne pour les droits personnels » a fait savoir que la décision concernant cet adolescent âgé de 17 ans condamné avec trois autres égyptiens pour le viol d'une jeune fille « illustre l'ignorance par la justice militaire du code civil et pénal » et met en doute « la compétence des juges militaires à statuer sur des affaires civiles ».
L'armée égyptienne forte de 500 000 hommes, appelée à restaurer l'ordre face à l’affaiblissement des 1.5 million de policiers depuis la chute de Moubarak est aussi sollicitée sur la frontière Ouest avec l'afflux de réfugiés libyens et à l'Est avec la bande Gaza, où les palestiniens commémoraient la "Nakba", la "catastrophe" de la création de l’État Hébreux en 1948. Les manifestations qui se sont aussi déployées sous les fenêtres de l’ambassade d’Israël au Caire ont conduit à une réaction musclée des militaires, dénoncée quelques jours plus tard par un rassemblement sur la place Tahrir après les 350 personnes blessées et 150 arrêtées. 136 d'entre elles ont été condamnées par une cour martiale à 3 ans de prison. Sous les pressions, les peines ont été réduites à 1 an et 6 mois avec sursis.
Reste que le sentiment général est celui d'être trahi par le Conseil suprême des forces armées, qui par ses brutalités s'acharne comme il le peut à limiter l'ampleur du changement politique en Égypte. Mais pour maintenir la révolution sur la bonne voie, la population se rend à l'évidence: il faut redescendre massivement dans la rue et donner un fort coup de semonce à l'armée. Ce sera le moteur de la mobilisation, déjà surnommée "la deuxième révolution", vendredi 27 mai sur la place Tahrir.

samedi 14 mai 2011

Tahrir perd le nord

La semaine aura été agitée au Caire. Samedi dernier, ce sont les violences confessionnelles du quartier populaire d'Imbaba, avec deux églises brulées, qui ont mis le feu aux poudres. Tous le monde le sait bien, les sbires de l'ancien régime attachés bec et ongles à leurs privilèges sont à l'origine de ces déchaînements de haine qui ont fait 15 victimes. Dés le lendemain des milliers d’Égyptiens, coptes et musulmans, ont pris place devant le bâtiment Maspero de la télévision publique pour manifester leur mécontentement quant à l'inaction des forces armées dans la protection de la minorité chrétienne du pays. Dimanche soir, les rues de la capitale étaient étrangement calmes, aucun embouteillage n'est venu les encombrer. La grande majorité de la population effrayée par ces manoeuvres de sédition menacant l'unité du pays a jugé plus raisonnable de ne pas sortir, et suivre l'évolution de la situation à la télévision où se tenait des débats enflammés sur les chaines satellite privées.
Le drapeau israélien brûlé place Tahrir (Reuters) 
En milieu de semaine, l'annonce de la condamnation à 5 ans de prison pour corruption de l'ancien ministre du tourisme Zohair Gabana a soulagé la tension ambiante. Elle ne concerne que l'un de ses divers procès en cours et fait suite à celle de l'ancien ministre de l'intérieur Habib El Adli reconnu coupable de blanchiment d'argent et d'enrichissement illicite, avec 12 ans de prison et 2.5 millions de dollars d'amende. Rien de lui échappait : il empochait même une commission sur la fabrication des plaques d'immatriculation. Il doit maintenant faire face à un autre procès pour violence sur manifestants. De son côté, et alors qu'une équipe d'experts suisses venue au Caire pour préciser les démarches nécessaires avant la restitution d'avoir égyptiens gelés dans leur pays, l'ancienne première dame d’Égypte Suzanne Moubarak était aussi été arrêtée... puis atteinte de plusieurs malaises dont un "coma". Dans ces circonstances, son époux ne devrait pas se retrouver seul dans la suite de l’hôpital de Charm El Cheikh, alors que certains la voit bientôt arriver dans la prison pour femmes de Kanater, à une quarantaine de kilomètre au nord du Caire. 
Mais ces condamnations, dont la rapidité conduit à s'interroger sur la régularité de la justice appliquée ces jours-ci  en Égypte, n'ont pas de quoi faire oublier les violences confessionnelles du weekend dernier. L'appel à manifester place Tahrir a été amplement relayé. Il a mobilisé plusieurs centaines de milliers de personnes, mais c'est là que les cartes se sont brouillées.
Car le mois de mai c'est aussi l'anniversaire de la Nakba, "la catastrophe" de la création en 1948 de l’État d’Israël. Une prière de l'aube a donc réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes dés les premières lueurs du matin sur la place Tahrir tandis qu'une marche vers la frontière de Gaza, récemment ouverte par les autorités égyptiennes, était prévue plus tard dans la journée malgré les réticences du ministère de l'intérieur sur ce déplacement de masses. En fin d'après midi, plusieurs milliers de personnes ont cependant  décidé de poursuivre leur manifestation sous les fenêtres de l’ambassade d’Israël, conduisant même l'armée à tirer plusieurs coups de semonce pour les disperser.
Avec le "Vendredi de l'unité nationale " qui voulait réunir musulmans et coptes mais éclipsé par l'appel au "Million pour la prière de l'aube", l'objet initial de la manifestation de Tahrir se retrouvait  complètement modifié dans la soirée. Non sans provoquer les sarcasmes de quelques observateurs égyptiens : "Au lieu de nous occuper de ce qui se passe ailleurs, on ferait mieux de nous occuper sérieusement de nos propres difficultés qui ne manquent pas en ce moment! ". C'est que le vent de la révolution prend des airs de violents tourbillons incontrôlés.

dimanche 17 avril 2011

La peur du vide

Les fils Moubarak, Alaa et Gamal, ainsi que le père Hosni, ont été arrêtés et placés derrière les barreaux de la prison de Tora au sud du Caire. Ils sont allés rejoindre, pour une durée de 15 jours, les membres de la dernière équipe gouvernementale le temps que les investigations se développent sur les accusations de corruption, d'enrichissement illégal, et de violences sur manifestants. Pour rappel, 800 personnes sont décédées du fait de la répression policière lors des 18 jours du soulèvement populaire.
Une corde de potence décore la vitre arrière d'un taxi au Caire.
Le jugement de la famille Moubarak était l'une des demandes principales des jeunes du 25 janvier, qui satisfaits, ont renoncé à l'organisation d'une manifestation massive place Tahrir, vendredi dernier 15 avril. C'est aussi pour eux une prise de position claire de l'armée : ces poursuites judiciaires démontrent que les efforts tous azimuts pour faire triompher la contre-révolution observés ces jours derniers comme la tentative d'instaurer un climat de sédition confessionnelle, n'ont pas porté leurs fruits. Même si un doute subsiste quant à la suite qui sera donnée à ces emprisonnements. Le procès sera-t-il vraiment mené à terme ou fera-t-il l'objet, comme cela a souvent été le cas dans le passé quand des personnalités de l'ancien régime étaient éclaboussées par des scandales, de manipulations diverses pour les blanchir? En réalité, cette dernière issue semble désormais peu probable.
Pendant 30 ans de règne, le régime Moubarak a su écraser dans l'œuf tous les germes de la révolte provoqués par sa toute puissance, au point d'annihiler la conscience politique de la population. Mais celle-ci vit aujourd'hui une jubilation qui la conduit aux extrêmes. La soif de vengeance est ainsi très palpable à Charm-el-Cheikh, station balnéaire où l'ex-raïs résidait la majeure partie de l'année, faisant de la vie quotidienne des citoyens ordinaires un cauchemar tant le harcèlement et les humiliations étaient devenus courants dans le souci d'assurer la sécurité de la cité.
La peine de mort étant en vigueur en Égypte, des voix s'élèvent pour réclamer que Moubarak subisse la pendaison. Le président de la Cour d'appel du Caire, Zakaria Shalash, a d'ailleurs déclaré il y a quelques jours que le procès de l'ancien président pourrait durer un an et conduire à la peine capitale. De quoi figer d'effroi la population. Difficile pour elle d'imaginer que cet homme devenu au fil des années une composante de l'inconscient collectif par son omniprésence, puisse être ainsi être froidement éliminé. L'idée est improbable mais elle provoque une peur panique. Celle d'une perte d'identité pour des millions d'Égyptiens, avec un immense vide dans lequel ils imaginent mal qui pourrait s'engouffrer.
Cette peur du noir explique aussi la popularité de l'actuel secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, candidat à la prochaine élection présidentielle. S'il représente par bien des côtés une personnalité de l'ancien régime, il s'est aussi montré critique à son égard ces dernières années. Et finalement, son accession à la fonction suprême constituerait un compromis qui donnerait à la chute de Hosni Moubarak la forme d'une semi-révolution, en attendant que la vie politique gagne en maturité. C'est qu'on ne se débarrasse pas si facilement d'un Moubarak, alors la révolution a encore de belles années et bien des soubresauts devant elle.