mercredi 2 mars 2011

Un journal dans la tempête

Les salariés en assemblée
Depuis quatre jours, le vénérable groupe de presse Al-Ahram, cette institution plus que centenaire, est dans la tourmente. Son syndicat qui regroupe les 10 000 employés de la maison a décidé, après les trente années de règne Moubarak, de faire bouger les lignes et rendre les choses socialement plus justes. Les salariés du quotidien en langue arabe (le groupe compte aussi des publications hebdomadaires en langue anglaise et française) se montrent excédés par la gestion des affaires, gangrenée par le népotisme et la corruption. Ils réclament donc une remise à plat du fonctionnement, sur un ton vindicatif encore inimaginable il y a un mois. Pour donner une idée de la marche des choses dans le groupe, un ancien Président directeur général touchait encore il y quelques années une commission de 10% sur les annonces publicitaires. Les recettes annuelles de la publicité dans le journal s'élèvent à près de 400 millions de  Livres Égyptiennes (50 millions d'Euros), alors que la plupart des employés sont condamnés à ne toucher que 100 Euros par mensuels. 
Mais comment pouvaient-ils contester ces injustices, dont la plupart répondaient d'ailleurs à la législation en vigueur? Il aura fallu la révolution du 25 janvier pour voire naître l'espoir de les éradiquer.
Aujourd'hui l'ensemble du personnel de la "Fondation", comme elle est appelée en arabe, tiennent leurs assemblées dans une immense salle de conférence flambant neuve. Sur l'estrade, le micro passe de mains en mains entre les représentants des parties, qui s'échangent revendications, accusations et réponses à celles-ci. Les noms des responsables considérés comme les plus corrompus sont lancés, comme jetés dans une arène de félins affamés. Le goût de la vengeance est euphorisant, dans les applaudissement nourris de l'audience.
C'est en réalité une véritable Assemblée générale constituante pour les droits des salariés qui se tient. La tête du rédacteur en chef est réclamée ainsi que celle de tous les autres haut responsables. Des femmes s'indignent de voir leur évolution de carrière grillée par l'arrivée subite de la fille ou nièce d'un ponte, parachutée en toute arrogance et dans l'ignorance la plus totale de la priorité à l'ancienneté. D'autres réclament que les salaires du service publicité soient revus à la baisse : ils sont jusqu'à 200 fois supérieurs à ceux d'un salarié moyen! Sans compter ces "Conseillers de la rédaction", rétribués outrageusement pour services.... inexistants. Une liste de douze points essentiels à revoir dans la gestion du groupe circulent dans l'assemblée. Un peu trop, aurait considéré le représentant de la direction qui a tenté plus d'une fois de quitter les discussions houleuses. Une direction qui a pourtant retourné sa veste depuis le 11 janvier et la chute de Moubarak. Complètement inféodée à l'ancien régime, la libération mentale ne sera pas aussi rapide.