samedi 9 avril 2011

Contrer la contre-révolution

Le nouvel appel à une "manifestation du million" a inquiété les autorités hier, après le succès de la semaine dernière. Signe de la tension ambiante, un hélicoptère de l'armée a surveillé pendant plusieurs heures la place Tahrir dés la fin de matinée, après la traditionnelle prière du vendredi. Le dernier survol remontait à début février. Dans l'ensemble du pays, le nombre de manifestants aurait atteint les 500 000 personnes. 
Des militaires défendent la révolution.
La veille, les révolutionnaires ont obtenu une nouvelle avancée avec l'incarcération de Zakareya Azmi, le chef du cabinet présidentiel sous Moubarak. Il doit rester 15 jours sous les barreaux, le temps que la justice comprennent comment il a pu accumuler autant de bien immobiliers avec son seul traitement. D'autres arrestations viendront, dont celle de Safwat El Sherif, personnage perçu comme l'un des plus répudiant de l'ancien régime, président de la chambre basse du parlement et ex-ministre de l'information. Fathi Sourour, pendant  20 ans président de l'Assemblée du peuple (chambre haute) doit aussi être inquiété. Avant, les juges interrogeront  Gamal Moubarak sur l'origine de sa richesse.
Mais ce que les manifestants voulaient surtout, c'est le jugement de Moubarak. Ces derniers jours les  vendeurs de rue proposent même des cordes de potence miniatures, et place Tahrir hier se tenait la 2ième phase de son procès fictif présidé par un magistrat de la Cour de cassation. Un appel à une marche vers Sharm El Cheikh, à 500 km du Caire, où réside le président déchu à même été lancé.
Autre demande sur la place Tahrir  : le départ du maréchal Tantawi, ministre de la défense durant 20 ans sous Moubarak, et aux commandes du pays depuis le 11 février. Sans revenir sur la dégradation de l'image de l'armée ces dernières semaines avec l’obscénité des tests de virginité sur les jeunes manifestantes, Tantawi est considéré comme le principal responsable de la lenteur du changement en Égypte. Pour illustrer la division qui touche maintenant les rangs militaires, des officiers en uniforme sont montés sur l'estrade installée place Tahrir. Ils s'estiment manipulés par l'ancien régime et refusent de trahir les idéaux de la révolution. 
En fin d'après-midi, le frappes sur la bande de Gaza quelques heures auparavant ont déchaîné le mécontentement et plusieurs centaines de manifestants ont pris la direction de l’ambassade d'Israël. Située au dernier étage d'un imposant immeuble du quartier de Guizeh, les occupants des étages inférieurs agitaient des drapeaux palestiniens en signe de soutien à la foule dans la rue. 
La réaction de l'armée à la colère exprimée par la population aura été de tirer dans la nuit -à balles réelles selon certains- sur les manifestants dont plusieurs seraient gravement blessés. Immédiatement après, des véhicules ont été incendiés. Au petit matin de samedi, la place Tahrir était encore occupée.
Alors comme l'affirme sur Twitter un activiste, la façon dont l'armée dirige le pays actuellement, prise entre ses liens avec l'ancien régime et sa promesse de réaliser les idéaux de la révolution, ressemble bel et bien à " un sévère cas de constipation".

jeudi 7 avril 2011

Dans le tourbillon du destin

L'événement est une banalité de voisinage sans nom. Mais quand l'histoire s'entrecroise et se superpose, la scène remporte ses galons d'originalité. Elle a lieu à quelques enjambées au sud de la Place Tahrir, à Garden City, le long de la rive droite du Nil. Crée au début du XXième siècle et longtemps réputé luxueux, ce quartier  central du Caire abrite encore quelques ambassades dont celles des États-Unis et du Royaume-Uni. Aujourd'hui, ses rues sont jalonnées de palais décrépis que les Égyptiens affectionnent puisque l'architecture reflète à elle seule la grandeur de l'Égypte, bien avant le renversement de la monarchie par l'armée en 1952. Et en ces temps de révolution, l'espoir de voir renaitre cette aura imprègne les cœurs.     
C'est dans l'un de ces palais que les co-propriétaires d'un immeuble des alentours viennent tenir leur première réunion post-révolution. Les fauteuils et chaises disposés en cercle, sous un imposant lustre et sur un parquet rongé, dans ce qui devait être la salle de bal, forment malgré eux un tourbillon de destinées. 
Que ce soit ce palais poussiéreux de 3700 mètres carrés aujourd'hui en vente (12 millions d'€, avis aux intéressés), l'immeuble en question et même ses habitants, tous ont été les témoins des développements de l'Égypte et de ses révolutions actuelles ou passées. Ils se retrouvent ici pour mettre de l'ordre dans la gestion de leur bien commun, après des années de négligence. Nouvelle Égypte, nouveau départ.
Réunion de co-propriétaires dans un ancien palais.
Ce palais est la propriété des nombreux héritiers de Fouad Serageddine, figure marquante de l'histoire du pays pour son rôle d'opposant à Moubarak, décédée en 2000 à l'âge de 90 ans. Dirigeant du Wadf  ("Délégation") parti politique né en 1919 en réaction à la présence britannique, ministre de l'intérieur et des finances de 1950 à 1952, Serageddine a été délogé par les Officiers libres, avant un retour sur la scène politique en 1984. Malgré le peu de marge laissé par le raïs, Serageddine a su manœuvrer habilement pour faire preuve d'un réel talent politique et imposer le Wafd dans le semblant pluraliste de l'époque, notamment grâce à ses tribunes dans le journal du même nom.
La construction de l'immeuble sujet des discussions a été ordonnée par le Prince Ahmed Seifeddin, décédé en 1937 à l'âge de 60 ans, petit-fils de Mohamed Ali (vice-roi mort au Caire le 2 août 1849) et beau-frère du roi Fouad Ier, pacha d'Égypte de 1917 à 1922.
Résumée en quelques lignes, la vie de Seifeddin bascule une nuit de 1898 quand il blesse gravement par un coup de feu tiré dans la gorge, le violent roi Fouad Ier pour protéger sa sœur maltraitée. S'en suivent, pour laver l'affront, 25 années dans un hôpital psychiatrique d'Angleterre, puis une évasion rocambolesque et un séjour à Istanbul. Sur les berges du Bosphore, il mènera combat pour récupérer l'immense fortune laissée derrière lui pendant cet exil forcé. Elle sera des années plus tard nationalisée, avec quelques parcelles revendues à des particuliers.
C'est donc dans le palais d'un des premiers opposants à Moubarak,  que les co-propriétaires d'un immeuble bâti par l'ancienne famille royale et saisi un temps par l'État, rassemblent les volontés pour redonner éclat à un édifice qui pourrait facilement être inscrit au patrimoine architectural national. Plongés dans l'apathie pendant des décennies, voilà que la révolution vient rafraichir leur enthousiasme. 
Au centre des discussions : le "Bawab". Installé à l'entrée de la plupart des immeubles du Caire, ce portier est aussi chargé de l'intendance. Mais après 30 années de service, voilà que ses dépassements ont assez duré. Le toit de l'immeuble est occupé par la famille des collègues, qui de là-haut jettent leurs détritus ménagers dans la cour intérieure. Il y aussi les plants de marijuana, les chambres de services illégalement louées, les parties de foot qui ravagent les antennes satellites et les nerfs des habitants, la saleté continuelle des escaliers, sans compter cette façon désormais outrancière de se considérer comme le maître des lieux. Peut-être une déformation professionnelle : les bawabs étaient considérés à une certaine époque comme des indicateurs à la solde de la toute puissante sûreté d'État.  Alors trop c'est trop, il doit partir.
Une tempête dans un verre d'eau, cette réunion de copropriété. Il n'empêche qu'elle décrit les changements actuels de l'Égypte : lents, timides et souvent gauches. La mue prendra des années, mais rien ne sera plus comme avant. 

lundi 4 avril 2011

La floraison des partis politiques

Grâce à la nouvelle constitution "intérimaire", les conditions de création d'un parti politique ont été allégées.
Alors que sous Moubarak, il fallait l'approbation d'un comité dirigé par le président de l'Assemblée du peuple (chambre haute du parlement), d'ailleurs un personnage central du Parti National Démocratique (PND) anciennement au pouvoir, il suffit désormais de 5000 membres pour l'enregistrement officiel d'une formation politique. La loi ne séduit pas tout le monde mais il n'empêche qu'aujourd'hui, dans l'objectif des élections législatives de septembre prochain, la tendance du moment est de vouloir créer un parti.
Même le milliardaire Naguib Sawirès se lance en politique.
Le premier reconnu depuis la chute de l'ancien régime, et après 15 ans de lutte, est "Al Wassat" (Le Centre) avec une idéologie proche du parti Turc au pouvoir "Justice et développement" d'inspiration islamique mais qui séduit aussi un électorat laïque. Même le magnat des télécommunications Naguib Sawires (Orascom Telecom), milliardaire respecté car soucieux de développement et loin des affaires de corruption, affirme vouloir son " Parti des Égyptiens libres" avec un accent marqué en faveur de la jeunesse pour la promotion de leur futur. Bien sûr, les anciens du régime déchu ont aussi des ambitions, même si le PND est toujours en place malgré les demandes répétées depuis le 11 février (chute de Moubarak) de le dissoudre.
Entre ces trois regroupements, il en existe de nombreux autres moins médiatiques qui se livrent tous à la même course : remporter au plus vite les 5000 adhésions indispensables. C'est-à-dire beaucoup de bruit pour des programmes qui restent inconnus en dehors des grandes lignes. Dans la population égyptienne ces nouveaux acteurs, qui s'essaient pour la première fois au jeu démocratique, avec toutes les maladresses que cela implique, sont inconnus. La multiplication des reconnaissance officielles promet aussi une dilution des forces, tant les compromis ou regroupements politiques semblent pour le moment inconcevables. Car après des années d'asphyxie, chaque égyptien veut s'approprier une parcelle de pouvoir dans la prochaine Assemblée du peuple. La campagne électorale n'a pas encore commencé, mais la fragmentation des voix pourrait bien être un de ses caractères majeurs. Pour n'ajouter qu'un peu plus à la confusion ambiante... et laisser la place aux joueurs à l'esprit de caste de l'ère Moubarak.