dimanche 30 octobre 2011

F comme Favoris

"Je veux mon droit, une Égypte islamique" (Crédit: "Vues d'une Révolution")
« Le résultat des élections en Tunisie sera celui que l'on aura en Égypte. » Pour l'animateur Amr Adib, du très regardé talk-show « El Qahera el Yom » (« Le Caire aujourd'hui ») sur la chaîne satellite Orbit, l'issue du prochain scrutin parlementaire en Égypte ne fait pas de doute.
La majorité obtenue par le parti Ennahda en Tunisie après les dernières élections pour l'Assemblée constituante devrait donc, selon lui, être identique à celle qui sortira du scrutin parlementaire qui doit débuter le 28 novembre prochain. C'est-à-dire à celle des Frères musulmans.
Mais au-delà du désir d'affirmer les valeurs islamiques dans la société, la population égyptienne voit aussi dans l'option des Frères une volonté de poursuivre la révolution entamée le 25 janvier dernier. La préoccupation est de contribuer, par ce choix moral, au combat contre la corruption, devenue une véritable règle de fonctionnement du pays sous Moubarak. L'Égypte attend ainsi davantage de discipline des dirigeants et surtout plus de justice sociale.
Dans la rue, les hommes à barbe longue se font de plus en plus nombreux depuis neuf mois, traduisant une métamorphose attendue de la société civile égyptienne. Toutefois, pour Amr Zoheiri, chercheur en sciences de l'information, « une victoire des Frères aux élections parlementaires ne va pas faire plonger l'Égypte dans l'obscurantisme du jour au lendemain » : « Ils vont d'abord appliquer leurs idées de manière très souple par des alliances avec des forces de gauche. Il y aura par ailleurs une préoccupation d'ordre économique : l'Égypte, qui recevait 15 millions de touristes l'année de dernière, ne peut pas se passer de cette manne en mettant le rigorisme en avant. »
Si en Égypte la charia est une des sources du droit, « il faut observer que les Frères musulmans, qui détenaient 88 des 444 sièges (20 %) de l'avant-dernière Assemblée du peuple, n'étaient pas si politiquement actifs que ça, même s'ils avaient mis en œuvre d'importants moyens pour leur campagne électorale en 2005 », remarque Ahmed Mahmoud, informaticien.
Sans compter que des obstacles se présenteront aux Frères et à leur projet, car « le système le plus acceptable pour les Égyptiens est le système parlementaire en vigueur de 1919 à 1952, avec une démocratie qui fonctionnait grâce à une forte présence de différents partis », estime Amr Zoheiri.
Un modèle citoyen qui est n'est en fin de compte pas étranger à l'Égypte.

(Article initialement écrit pour la presse)

dimanche 17 juillet 2011

Encore beaucoup de colère

La période de grâce touche à sa fin pour le Conseil suprême des forces armées, au pouvoir en Égypte depuis la chute de Moubarak, le 11 février. Lenteur du jugement des anciens caciques, violences policières qui se poursuivent, multiplication des procès militaires pour les civils, droits de l'homme bafoués avec le scandale des tests de virginité… Pour les manifestants, et la Coalition des jeunes de la révolution en particulier, le gouvernement de transition n'est encore qu'une façade civile de l'armée, comme toujours depuis l'époque de Nasser. Alors, depuis une semaine, pour faire entendre leur colère face à cette résistance au processus démocratique, les Égyptiens sont à nouveau dans la rue. « Il y a en plus cette main invisible, celle de l'ancien régime, qui veut conserver ses privilèges. Il est temps que l'armée l'éradique », estime Galal Hamdi, ingénieur d'une trentaine d'années, après sa sixième nuit sur la place Tahrir.
Les manifestants à nouveau dans la rue (AFP)
En cinq mois, les manifestants ont retenu une leçon : aucune de leurs revendications n'est obtenue spontanément, seule la pression populaire est fructueuse. De fait, en l'espace de quelques jours, déclarations officielles et conférences de presse se succèdent pour calmer la rue. Elles peuvent susciter la défiance, comme mardi 12 juillet, avec la mise en garde de l'armée « contre toute personne qui troublerait l'ordre public et les services de l'État », en référence aux menaces de blocage du canal de Suez, des grands axes routiers et des bâtiments administratifs. Mais aussi une certaine satisfaction, suite à la conférence de presse, le 13 juillet, du ministère de l'Intérieur annonçant enfin, après un premier affront au Premier ministre, « une purge historique » des 4 000 officiers de police. « 505 généraux et 82 colonels ont été démis de leurs fonctions, dont 27 généraux accusés d'avoir tué des manifestants », a-t-il déclaré.

Procès télévisés « en direct »
En quelques jours, les manifestants ont aussi obtenu que les procès des responsables de l'ancien du régime soient télévisés « en direct », et l'accélération de la justice sur ces questions. « Le fossé entre les manifestants et le pouvoir - armée et gouvernement - reste important, mais l'on va vers un apaisement », estime Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l'université du Caire. « D'autant que les élections législatives, prévues pour septembre, viennent d'être reportées au mois de novembre. Cela permettra aux partis politiques de se renforcer, et cette décision soutient en quelque sorte les mouvements laïques au détriment des Frères musulmans, qui réclament des élections rapides pour tirer profit de leur capital de sympathie », ajoute-t-il.
Plus largement, ces nouvelles concessions indiquent, selon Samer Soliman, militant au Parti social-démocrate égyptien et professeur d'économie politique à l'Université américaine du Caire, que « l'armée a compris, après des années d'un exercice exceptionnel du pouvoir, que ce monopole est fini et qu'il faut laisser la place aux civils ». Ce qu'elle cherche maintenant, « c'est conserver un pouvoir de veto, avec par exemple un article dans la future Constitution qui lui accorderait une sorte d'immunité sur son budget », explique-t-il. L'armée pourrait aussi, comme le réclament les mouvements laïques, « se voir confier la tâche de garantir la nature "civile", c'est-à-dire semi-laïque, de l'État », poursuit Soliman.
Quant aux candidats les plus connus à la présidence de la République, les ex-diplomates Amr Moussa et Mohamed el-Baradei, ils brillent surtout par leur silence. Pour Hicham Mourad, « c'est qu'ils attendent l'issue de la crise actuelle pour saisir les bonnes opportunités en fonction de leurs intérêts ».

 (Article initialement écrit pour la presse française)

mardi 28 juin 2011

Mickey et la laïcité

Les images du scandale
Alors qu'il s'était retiré quelques jours dans le village d'El Gouna bâti par son frère sur la Mer rouge, Naguib Sawires, le magnat des télécommunications égyptien propriétaire d'Orascom Telecom, businessman adulé dans le pays car doté d'un esprit jugé "propre" loin des multiples affaires de corruption, aurait préféré que son message sur Tweeter ne vienne pas gâcher son paisible week-end.
Car mal lui en a pris de joindre à un "Tweet" probablement envoyé depuis une chaise longue au bord de sa piscine, une photo d'un Mickey barbu accompagné de Mini vêtue du Niqab, avec comme légende : "Voici les visages de la nouvelle Égypte". Une image qui faisait le tour du monde depuis des mois sur internet, mais il n'empêche que la réaction n'a pas tardé: en début de semaine, et malgré ses excuses, le voilà convoqué chez le procureur général, suite à la plainte d'une quinzaine d'avocats Salafistes outrés que l'Islam puisse ainsi faire l'objet de plaisanterie. L'incident illustre bien le climat de tension politico-religieuse qui règne dans le pays, alors que le débat fait rage sur la future nature du nouvel État, dont la constitution reste encore à écrire.
Sawires, de confession copte, vieux requin des affaires mais jeune poulain en politique, a créé un nouveau  parti ("Les Égyptiens Libres") au lendemain de la chute de Moubarak, après avoir habilement manœuvré pendant les révoltes populaires pour garder patte blanche. Le voilà donc devenu une cible de choix pour ses adversaires islamistes. Surtout qu'il s'affiche résolument en faveur d'un État laïque. 
Un quoi? Le mot est pour le moment inconnu dans le vocabulaire égyptien. Les Talk-Shows télévisés et les articles de presse parlent plutôt d'un "État Civil" pour faire référence à la laïcité. Car en Égypte, s'imaginer sans religion est encore un concept qui dépasse l'entendement, un concept plongé dans les abysses les plus profondes si tant est qu'il existe. Alors il faut jouer avec tact sur les mots pour se faire comprendre sans susciter l'horreur et inévitablement la qualification de mécréant, insulte ultime en terre des Pharaons.
L'intensité du débat sur la future nature de l’État égyptien a fait réagir il y a quelques jours Al-Azhar, la plus haute institution de l'Islam sunnite, dans une déclaration jugée révolutionnaire par divers commentateurs . Pour elle, un "État civil" est possible en Égypte, si et seulement si la source de la législation se fonde sur la Charia. Avec cependant la possibilité pour les autres communautés religieuses d'avoir des tribunaux spéciaux pour juger des affaires de statut personnel. C'est un pas en avant minime destiné à se sortir du bourbier actuel, qui a aussi le mérite de laisser entrevoir un soupçon de laïcité. Mais difficile encore de voir comment un État laïque peut reposer sur une base religieuse. C'est que les voix du Seigneur sont impénétrables.    

mercredi 1 juin 2011

Le blackout de la presse

"La nature a horreur du vide" disait le philosophe grec Aristote. Son aphorisme pourrait aussi s'appliquer aujourd'hui aux médias égyptiens. Car depuis la chute de Moubarak, et surtout ces dernières semaines, aucun des grands titres de presse ou presque, n'ose émettre une once de critique à l'égard des forces armées au pouvoir depuis le 11 février. Comme si, effrayée de prendre son envol et ne sachant que faire de cette nouvelle liberté, le plus rassurant pour elle ne serait qu'un autre cocon autoritaire qui briderait fort heureusement son émancipation. Ces jours-ci, la presse nationale excelle surtout dans la propagation d'informations non sourcées, qui prennent vite la forme de rumeurs extravagantes par un bouche à oreille forcené - caractéristique du Moyen-Orient - avant de sombrer tout aussi rapidement dans l'oubli. 
L'armée se dit proche des jeunes en communiquant aussi sur Facebook
Mais revenons à nos moutons. Puisque la presse égyptienne refuse de traiter les centaines de traductions en justice militaire de simples civils, et après la journée contre le Conseil Suprême des Forces Armées, les blogueurs ont décrété ce 1er juin "Journée nationale contre les procès militaires".
Le sujet des brutalités de l'armée et les procès qui s'en suivent, a été ravivé le 31 mai quand la chaîne d'information américaine CNN a diffusé un reportage sur les tests de virginité pratiqués il y a deux mois sur de jeunes activistes, et justifiés par un haut gradé "pour s'assurer qu'elles n'avaient pas été violées par un soldat". Le conformisme de la société égyptienne, qui ne conçoit les relations sexuelles que dans la pureté des liens du mariage, n'a d'égal que le culot de ce genre d'arguments. Le but de ces tests était en réalité de démontrer que la promiscuité entre hommes et femmes dans les tentes installées place Tahrir développait la décadence de la jeunesse, qui serait alors frappée d'opprobre sociale.
Selon les statistiques difficilement établies par les manifestants et ONG, il y aurait entre 6000 et 7000 activistes pro-démocratie en ce moment dans les prisons militaires, sans compter les jeunes disparus que l'on recherche encore. Ils devraient tous être soumis à la justice martiale, et quand l'indignation se fait trop bruyante chez les blogueurs et journalistes, les voilà immédiatement emmenés chez les généraux. C'est le cas de Reem Maged, l'intrépide qui a fait preuve d'un criticisme "déplacé" dans son Talk Show sur le chaine satellite OnTV. Elle a été libérée après quelques heures d’interrogatoire.
Dans ces conditions les (pas si vieux) réflexes de l'autocensure se rétablissent tout naturellement et "le journalisme de pyjama" parait est une option plus tranquille pour ceux qui n'hésiteront pas à se prévaloir bientôt d'une nouvelle avancée vers la démocratie. Il en va ainsi de la "révolution" en Égypte: l'inconsistance d'une certaine élite ne relaie pas l'enthousiasme de la jeunesse, qui refuse depuis vendredi 27 mai tout dialogue avec l'armée.


lundi 23 mai 2011

La deuxième révolution est en marche

"Les Moubarak et les membres de son régime corrompu sont jugés devant un tribunal civil. Tandis que les civils et autres activistes pacifistes sont envoyés aux tribunaux militaires". S'il fallait résumer en quelques mots l'indignation de la population égyptienne quant aux agissements du Conseil suprême des forces armées qui dirige le pays depuis le 11 février, cela tiendrait à cette phrase bien souvent entendue. Alors ce 23 mai est décrété par les blogueurs d’Égypte "Journée nationale contre l'armée". C'est bien légitime de la part d'une population asphyxiée - voire presque politiquement lobotimisée ces 30 dernières années - et qui se retrouve prise, dans cette période de profondes mutations, dans le même étau par une équipe de généraux au bras long qui ne connaissent pas la pré-retraite. Plus de 800 morts et près de 6000 blessés souvent très graves lors du soulèvement, et l'armée doute encore de la détermination des jeunes révolutionnaires à vivre dans une dignité balayée d'une revers de crosse à maintes reprises depuis 3 mois. 
Le départ du Maréchal Tantawi est réclamé.
Amnesty International sonne l'alarme depuis plusieurs semaines: elle accuse les "autorités égyptiennes de torturer les détenus". Pour l'ONG basée à Londres, il est indispensable pour les manifestants de voir que "leurs sacrifices ne sont pas vains et que la machine de la répression est éradiquée". Pour illustrer ces violations, il y a le cas Amr Al-Beheiry battu par la police militaire et arrêté alors qu'il manifestait pacifiquement devant le parlement le 26 février puis soumis avec ses cousins diverses électrocutions. Le 1er mars il a été condamné à 5 ans de prison pour non respect du couvre-feu, qui comme beaucoup le savent n'a jamais été vraiment respecté. 
Autre cas extrême, la condamnation à mort d'un mineur par un tribunal militaire, qui a d'ailleurs fait sortir de ses gonds la représentation en Égypte de l'Unicef, organisation des Nations Unies dédiées à la protection de l'enfance. De son côté, l’ONG « l'Initiative égyptienne pour les droits personnels » a fait savoir que la décision concernant cet adolescent âgé de 17 ans condamné avec trois autres égyptiens pour le viol d'une jeune fille « illustre l'ignorance par la justice militaire du code civil et pénal » et met en doute « la compétence des juges militaires à statuer sur des affaires civiles ».
L'armée égyptienne forte de 500 000 hommes, appelée à restaurer l'ordre face à l’affaiblissement des 1.5 million de policiers depuis la chute de Moubarak est aussi sollicitée sur la frontière Ouest avec l'afflux de réfugiés libyens et à l'Est avec la bande Gaza, où les palestiniens commémoraient la "Nakba", la "catastrophe" de la création de l’État Hébreux en 1948. Les manifestations qui se sont aussi déployées sous les fenêtres de l’ambassade d’Israël au Caire ont conduit à une réaction musclée des militaires, dénoncée quelques jours plus tard par un rassemblement sur la place Tahrir après les 350 personnes blessées et 150 arrêtées. 136 d'entre elles ont été condamnées par une cour martiale à 3 ans de prison. Sous les pressions, les peines ont été réduites à 1 an et 6 mois avec sursis.
Reste que le sentiment général est celui d'être trahi par le Conseil suprême des forces armées, qui par ses brutalités s'acharne comme il le peut à limiter l'ampleur du changement politique en Égypte. Mais pour maintenir la révolution sur la bonne voie, la population se rend à l'évidence: il faut redescendre massivement dans la rue et donner un fort coup de semonce à l'armée. Ce sera le moteur de la mobilisation, déjà surnommée "la deuxième révolution", vendredi 27 mai sur la place Tahrir.

samedi 14 mai 2011

Tahrir perd le nord

La semaine aura été agitée au Caire. Samedi dernier, ce sont les violences confessionnelles du quartier populaire d'Imbaba, avec deux églises brulées, qui ont mis le feu aux poudres. Tous le monde le sait bien, les sbires de l'ancien régime attachés bec et ongles à leurs privilèges sont à l'origine de ces déchaînements de haine qui ont fait 15 victimes. Dés le lendemain des milliers d’Égyptiens, coptes et musulmans, ont pris place devant le bâtiment Maspero de la télévision publique pour manifester leur mécontentement quant à l'inaction des forces armées dans la protection de la minorité chrétienne du pays. Dimanche soir, les rues de la capitale étaient étrangement calmes, aucun embouteillage n'est venu les encombrer. La grande majorité de la population effrayée par ces manoeuvres de sédition menacant l'unité du pays a jugé plus raisonnable de ne pas sortir, et suivre l'évolution de la situation à la télévision où se tenait des débats enflammés sur les chaines satellite privées.
Le drapeau israélien brûlé place Tahrir (Reuters) 
En milieu de semaine, l'annonce de la condamnation à 5 ans de prison pour corruption de l'ancien ministre du tourisme Zohair Gabana a soulagé la tension ambiante. Elle ne concerne que l'un de ses divers procès en cours et fait suite à celle de l'ancien ministre de l'intérieur Habib El Adli reconnu coupable de blanchiment d'argent et d'enrichissement illicite, avec 12 ans de prison et 2.5 millions de dollars d'amende. Rien de lui échappait : il empochait même une commission sur la fabrication des plaques d'immatriculation. Il doit maintenant faire face à un autre procès pour violence sur manifestants. De son côté, et alors qu'une équipe d'experts suisses venue au Caire pour préciser les démarches nécessaires avant la restitution d'avoir égyptiens gelés dans leur pays, l'ancienne première dame d’Égypte Suzanne Moubarak était aussi été arrêtée... puis atteinte de plusieurs malaises dont un "coma". Dans ces circonstances, son époux ne devrait pas se retrouver seul dans la suite de l’hôpital de Charm El Cheikh, alors que certains la voit bientôt arriver dans la prison pour femmes de Kanater, à une quarantaine de kilomètre au nord du Caire. 
Mais ces condamnations, dont la rapidité conduit à s'interroger sur la régularité de la justice appliquée ces jours-ci  en Égypte, n'ont pas de quoi faire oublier les violences confessionnelles du weekend dernier. L'appel à manifester place Tahrir a été amplement relayé. Il a mobilisé plusieurs centaines de milliers de personnes, mais c'est là que les cartes se sont brouillées.
Car le mois de mai c'est aussi l'anniversaire de la Nakba, "la catastrophe" de la création en 1948 de l’État d’Israël. Une prière de l'aube a donc réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes dés les premières lueurs du matin sur la place Tahrir tandis qu'une marche vers la frontière de Gaza, récemment ouverte par les autorités égyptiennes, était prévue plus tard dans la journée malgré les réticences du ministère de l'intérieur sur ce déplacement de masses. En fin d'après midi, plusieurs milliers de personnes ont cependant  décidé de poursuivre leur manifestation sous les fenêtres de l’ambassade d’Israël, conduisant même l'armée à tirer plusieurs coups de semonce pour les disperser.
Avec le "Vendredi de l'unité nationale " qui voulait réunir musulmans et coptes mais éclipsé par l'appel au "Million pour la prière de l'aube", l'objet initial de la manifestation de Tahrir se retrouvait  complètement modifié dans la soirée. Non sans provoquer les sarcasmes de quelques observateurs égyptiens : "Au lieu de nous occuper de ce qui se passe ailleurs, on ferait mieux de nous occuper sérieusement de nos propres difficultés qui ne manquent pas en ce moment! ". C'est que le vent de la révolution prend des airs de violents tourbillons incontrôlés.

dimanche 17 avril 2011

La peur du vide

Les fils Moubarak, Alaa et Gamal, ainsi que le père Hosni, ont été arrêtés et placés derrière les barreaux de la prison de Tora au sud du Caire. Ils sont allés rejoindre, pour une durée de 15 jours, les membres de la dernière équipe gouvernementale le temps que les investigations se développent sur les accusations de corruption, d'enrichissement illégal, et de violences sur manifestants. Pour rappel, 800 personnes sont décédées du fait de la répression policière lors des 18 jours du soulèvement populaire.
Une corde de potence décore la vitre arrière d'un taxi au Caire.
Le jugement de la famille Moubarak était l'une des demandes principales des jeunes du 25 janvier, qui satisfaits, ont renoncé à l'organisation d'une manifestation massive place Tahrir, vendredi dernier 15 avril. C'est aussi pour eux une prise de position claire de l'armée : ces poursuites judiciaires démontrent que les efforts tous azimuts pour faire triompher la contre-révolution observés ces jours derniers comme la tentative d'instaurer un climat de sédition confessionnelle, n'ont pas porté leurs fruits. Même si un doute subsiste quant à la suite qui sera donnée à ces emprisonnements. Le procès sera-t-il vraiment mené à terme ou fera-t-il l'objet, comme cela a souvent été le cas dans le passé quand des personnalités de l'ancien régime étaient éclaboussées par des scandales, de manipulations diverses pour les blanchir? En réalité, cette dernière issue semble désormais peu probable.
Pendant 30 ans de règne, le régime Moubarak a su écraser dans l'œuf tous les germes de la révolte provoqués par sa toute puissance, au point d'annihiler la conscience politique de la population. Mais celle-ci vit aujourd'hui une jubilation qui la conduit aux extrêmes. La soif de vengeance est ainsi très palpable à Charm-el-Cheikh, station balnéaire où l'ex-raïs résidait la majeure partie de l'année, faisant de la vie quotidienne des citoyens ordinaires un cauchemar tant le harcèlement et les humiliations étaient devenus courants dans le souci d'assurer la sécurité de la cité.
La peine de mort étant en vigueur en Égypte, des voix s'élèvent pour réclamer que Moubarak subisse la pendaison. Le président de la Cour d'appel du Caire, Zakaria Shalash, a d'ailleurs déclaré il y a quelques jours que le procès de l'ancien président pourrait durer un an et conduire à la peine capitale. De quoi figer d'effroi la population. Difficile pour elle d'imaginer que cet homme devenu au fil des années une composante de l'inconscient collectif par son omniprésence, puisse être ainsi être froidement éliminé. L'idée est improbable mais elle provoque une peur panique. Celle d'une perte d'identité pour des millions d'Égyptiens, avec un immense vide dans lequel ils imaginent mal qui pourrait s'engouffrer.
Cette peur du noir explique aussi la popularité de l'actuel secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, candidat à la prochaine élection présidentielle. S'il représente par bien des côtés une personnalité de l'ancien régime, il s'est aussi montré critique à son égard ces dernières années. Et finalement, son accession à la fonction suprême constituerait un compromis qui donnerait à la chute de Hosni Moubarak la forme d'une semi-révolution, en attendant que la vie politique gagne en maturité. C'est qu'on ne se débarrasse pas si facilement d'un Moubarak, alors la révolution a encore de belles années et bien des soubresauts devant elle.

dimanche 10 avril 2011

Moubarak clame son innocence

Deux mois jours pour jour après son dernier discours, Moubarak a reparlé aux Egyptiens. C'est aussi deux jours après la grande manifestation du vendredi 8 avril qui réclamait son jugement pour enrichissement illicite.
L'enregistrement a été diffusé sur la chaine de télévision Al Arabeya, à capitaux saoudiens. Rappelons que Moubarak est censé être sous mandat d'arrêt et qu'il est assez étonnant qu'il puisse malgré cela avoir accès aux médias. D'où la supposition que l'Arabie Saoudite a fait pression sur les forces armées pour faire passer le message. Pays où il s'est rendu au moins deux fois depuis sa chute, pour traitement médical. De sa résidence de Sharm El Cheikh, la traversée de la Mer rouge ne dure que deux heures pour atteindre les côtes saoudiennes.
Alors qu'a-t-il dit? Tout simplement que les allégations selon lesquelles il se serait enrichi à profusion pendant ses 30 années de mandat présidentiel sont archi-fausses. Il promet même de poursuivre en justice ceux qui prétendront le contraire dans le futur. D'ailleurs il n'aurait "qu'un seul compte dans une banque égyptienne" mais selon d'autres dires, engagé cinq avocats britanniques pour le défendre. Il doit se rappeler que des pays européens comme la Suisse ont été les premiers à déclarer le gel de ses avoirs sur leur territoire. Son intervention provoque pour l'instant de la colère. "Comment a-t-il osé s'adresser à nouveau aux Égyptiens?" se demandent les activistes encore sur la place Tahrir après les heurts avec l'armée samedi à l'aube. Peut-être pour tenter d'unifier les Égyptiens, alors que l'armée rencontre des dissensions internes sur l'orientation à donner aux changements politiques. Moubarak qui a déclaré lors de cet enregistrement avoir quitté le pouvoir pour sauver le pays, espère-t-il reprendre les choses en main pour éviter les divisions? Beaucoup de questions se posent et la réaction de l'armée est très attendue. Car il est temps qu'elle prenne une position claire. Qui soutient-elle exactement?

samedi 9 avril 2011

Contrer la contre-révolution

Le nouvel appel à une "manifestation du million" a inquiété les autorités hier, après le succès de la semaine dernière. Signe de la tension ambiante, un hélicoptère de l'armée a surveillé pendant plusieurs heures la place Tahrir dés la fin de matinée, après la traditionnelle prière du vendredi. Le dernier survol remontait à début février. Dans l'ensemble du pays, le nombre de manifestants aurait atteint les 500 000 personnes. 
Des militaires défendent la révolution.
La veille, les révolutionnaires ont obtenu une nouvelle avancée avec l'incarcération de Zakareya Azmi, le chef du cabinet présidentiel sous Moubarak. Il doit rester 15 jours sous les barreaux, le temps que la justice comprennent comment il a pu accumuler autant de bien immobiliers avec son seul traitement. D'autres arrestations viendront, dont celle de Safwat El Sherif, personnage perçu comme l'un des plus répudiant de l'ancien régime, président de la chambre basse du parlement et ex-ministre de l'information. Fathi Sourour, pendant  20 ans président de l'Assemblée du peuple (chambre haute) doit aussi être inquiété. Avant, les juges interrogeront  Gamal Moubarak sur l'origine de sa richesse.
Mais ce que les manifestants voulaient surtout, c'est le jugement de Moubarak. Ces derniers jours les  vendeurs de rue proposent même des cordes de potence miniatures, et place Tahrir hier se tenait la 2ième phase de son procès fictif présidé par un magistrat de la Cour de cassation. Un appel à une marche vers Sharm El Cheikh, à 500 km du Caire, où réside le président déchu à même été lancé.
Autre demande sur la place Tahrir  : le départ du maréchal Tantawi, ministre de la défense durant 20 ans sous Moubarak, et aux commandes du pays depuis le 11 février. Sans revenir sur la dégradation de l'image de l'armée ces dernières semaines avec l’obscénité des tests de virginité sur les jeunes manifestantes, Tantawi est considéré comme le principal responsable de la lenteur du changement en Égypte. Pour illustrer la division qui touche maintenant les rangs militaires, des officiers en uniforme sont montés sur l'estrade installée place Tahrir. Ils s'estiment manipulés par l'ancien régime et refusent de trahir les idéaux de la révolution. 
En fin d'après-midi, le frappes sur la bande de Gaza quelques heures auparavant ont déchaîné le mécontentement et plusieurs centaines de manifestants ont pris la direction de l’ambassade d'Israël. Située au dernier étage d'un imposant immeuble du quartier de Guizeh, les occupants des étages inférieurs agitaient des drapeaux palestiniens en signe de soutien à la foule dans la rue. 
La réaction de l'armée à la colère exprimée par la population aura été de tirer dans la nuit -à balles réelles selon certains- sur les manifestants dont plusieurs seraient gravement blessés. Immédiatement après, des véhicules ont été incendiés. Au petit matin de samedi, la place Tahrir était encore occupée.
Alors comme l'affirme sur Twitter un activiste, la façon dont l'armée dirige le pays actuellement, prise entre ses liens avec l'ancien régime et sa promesse de réaliser les idéaux de la révolution, ressemble bel et bien à " un sévère cas de constipation".

jeudi 7 avril 2011

Dans le tourbillon du destin

L'événement est une banalité de voisinage sans nom. Mais quand l'histoire s'entrecroise et se superpose, la scène remporte ses galons d'originalité. Elle a lieu à quelques enjambées au sud de la Place Tahrir, à Garden City, le long de la rive droite du Nil. Crée au début du XXième siècle et longtemps réputé luxueux, ce quartier  central du Caire abrite encore quelques ambassades dont celles des États-Unis et du Royaume-Uni. Aujourd'hui, ses rues sont jalonnées de palais décrépis que les Égyptiens affectionnent puisque l'architecture reflète à elle seule la grandeur de l'Égypte, bien avant le renversement de la monarchie par l'armée en 1952. Et en ces temps de révolution, l'espoir de voir renaitre cette aura imprègne les cœurs.     
C'est dans l'un de ces palais que les co-propriétaires d'un immeuble des alentours viennent tenir leur première réunion post-révolution. Les fauteuils et chaises disposés en cercle, sous un imposant lustre et sur un parquet rongé, dans ce qui devait être la salle de bal, forment malgré eux un tourbillon de destinées. 
Que ce soit ce palais poussiéreux de 3700 mètres carrés aujourd'hui en vente (12 millions d'€, avis aux intéressés), l'immeuble en question et même ses habitants, tous ont été les témoins des développements de l'Égypte et de ses révolutions actuelles ou passées. Ils se retrouvent ici pour mettre de l'ordre dans la gestion de leur bien commun, après des années de négligence. Nouvelle Égypte, nouveau départ.
Réunion de co-propriétaires dans un ancien palais.
Ce palais est la propriété des nombreux héritiers de Fouad Serageddine, figure marquante de l'histoire du pays pour son rôle d'opposant à Moubarak, décédée en 2000 à l'âge de 90 ans. Dirigeant du Wadf  ("Délégation") parti politique né en 1919 en réaction à la présence britannique, ministre de l'intérieur et des finances de 1950 à 1952, Serageddine a été délogé par les Officiers libres, avant un retour sur la scène politique en 1984. Malgré le peu de marge laissé par le raïs, Serageddine a su manœuvrer habilement pour faire preuve d'un réel talent politique et imposer le Wafd dans le semblant pluraliste de l'époque, notamment grâce à ses tribunes dans le journal du même nom.
La construction de l'immeuble sujet des discussions a été ordonnée par le Prince Ahmed Seifeddin, décédé en 1937 à l'âge de 60 ans, petit-fils de Mohamed Ali (vice-roi mort au Caire le 2 août 1849) et beau-frère du roi Fouad Ier, pacha d'Égypte de 1917 à 1922.
Résumée en quelques lignes, la vie de Seifeddin bascule une nuit de 1898 quand il blesse gravement par un coup de feu tiré dans la gorge, le violent roi Fouad Ier pour protéger sa sœur maltraitée. S'en suivent, pour laver l'affront, 25 années dans un hôpital psychiatrique d'Angleterre, puis une évasion rocambolesque et un séjour à Istanbul. Sur les berges du Bosphore, il mènera combat pour récupérer l'immense fortune laissée derrière lui pendant cet exil forcé. Elle sera des années plus tard nationalisée, avec quelques parcelles revendues à des particuliers.
C'est donc dans le palais d'un des premiers opposants à Moubarak,  que les co-propriétaires d'un immeuble bâti par l'ancienne famille royale et saisi un temps par l'État, rassemblent les volontés pour redonner éclat à un édifice qui pourrait facilement être inscrit au patrimoine architectural national. Plongés dans l'apathie pendant des décennies, voilà que la révolution vient rafraichir leur enthousiasme. 
Au centre des discussions : le "Bawab". Installé à l'entrée de la plupart des immeubles du Caire, ce portier est aussi chargé de l'intendance. Mais après 30 années de service, voilà que ses dépassements ont assez duré. Le toit de l'immeuble est occupé par la famille des collègues, qui de là-haut jettent leurs détritus ménagers dans la cour intérieure. Il y aussi les plants de marijuana, les chambres de services illégalement louées, les parties de foot qui ravagent les antennes satellites et les nerfs des habitants, la saleté continuelle des escaliers, sans compter cette façon désormais outrancière de se considérer comme le maître des lieux. Peut-être une déformation professionnelle : les bawabs étaient considérés à une certaine époque comme des indicateurs à la solde de la toute puissante sûreté d'État.  Alors trop c'est trop, il doit partir.
Une tempête dans un verre d'eau, cette réunion de copropriété. Il n'empêche qu'elle décrit les changements actuels de l'Égypte : lents, timides et souvent gauches. La mue prendra des années, mais rien ne sera plus comme avant. 

lundi 4 avril 2011

La floraison des partis politiques

Grâce à la nouvelle constitution "intérimaire", les conditions de création d'un parti politique ont été allégées.
Alors que sous Moubarak, il fallait l'approbation d'un comité dirigé par le président de l'Assemblée du peuple (chambre haute du parlement), d'ailleurs un personnage central du Parti National Démocratique (PND) anciennement au pouvoir, il suffit désormais de 5000 membres pour l'enregistrement officiel d'une formation politique. La loi ne séduit pas tout le monde mais il n'empêche qu'aujourd'hui, dans l'objectif des élections législatives de septembre prochain, la tendance du moment est de vouloir créer un parti.
Même le milliardaire Naguib Sawirès se lance en politique.
Le premier reconnu depuis la chute de l'ancien régime, et après 15 ans de lutte, est "Al Wassat" (Le Centre) avec une idéologie proche du parti Turc au pouvoir "Justice et développement" d'inspiration islamique mais qui séduit aussi un électorat laïque. Même le magnat des télécommunications Naguib Sawires (Orascom Telecom), milliardaire respecté car soucieux de développement et loin des affaires de corruption, affirme vouloir son " Parti des Égyptiens libres" avec un accent marqué en faveur de la jeunesse pour la promotion de leur futur. Bien sûr, les anciens du régime déchu ont aussi des ambitions, même si le PND est toujours en place malgré les demandes répétées depuis le 11 février (chute de Moubarak) de le dissoudre.
Entre ces trois regroupements, il en existe de nombreux autres moins médiatiques qui se livrent tous à la même course : remporter au plus vite les 5000 adhésions indispensables. C'est-à-dire beaucoup de bruit pour des programmes qui restent inconnus en dehors des grandes lignes. Dans la population égyptienne ces nouveaux acteurs, qui s'essaient pour la première fois au jeu démocratique, avec toutes les maladresses que cela implique, sont inconnus. La multiplication des reconnaissance officielles promet aussi une dilution des forces, tant les compromis ou regroupements politiques semblent pour le moment inconcevables. Car après des années d'asphyxie, chaque égyptien veut s'approprier une parcelle de pouvoir dans la prochaine Assemblée du peuple. La campagne électorale n'a pas encore commencé, mais la fragmentation des voix pourrait bien être un de ses caractères majeurs. Pour n'ajouter qu'un peu plus à la confusion ambiante... et laisser la place aux joueurs à l'esprit de caste de l'ère Moubarak.

samedi 2 avril 2011

Le nouvel élan de la révolution

La place Tahrir reste mobilisée (Photo: AFP)
Ce n'était pas le million attendu. Mais les 100 000 personnes, selon les estimations les plus favorables, revenues investir hier la place Tahrir du Caire - sous un soleil de plomb - se traduit comme un succès à l'appel lancé pour remettre la révolution sur les bons rails. Un climat qui a aussi rappelé que si l'étincelle tunisienne avait eu lieu dans la fournaise de l'été, les répercutions en Égypte n'auraient jamais pris la même ampleur populaire, ou en tous cas pas à deux semaines d'intervalle. Face aux tentatives politiques actuelles de confisquer les résultats de la révolte à ses auteurs, même la nature est venue apporter un avertissement: en début d'après-midi, la terre a fortement grondé avec un tremblement de 6.2 et plusieurs répliques. (Mais je n'y vois pas un clin d'œil au titre de ce blog!). 
Comme pour un donner un gage de confiance aux manifestants, un nouveau pas important dans la révolution a cependant été franchi jeudi 31 mars par le nouveau gouvernement en place, avec le remplacement très attendu et demandé des deux principales têtes pensantes pro-Hosni et Gamal Moubarak du tentaculaire groupe de presse public Al-Ahram. La purge a d'ailleurs touché les principales publications affiliées au PND (Parti National Démocratique, dont Hosni Moubarak était le président). Il aura fallu attendre près de deux mois pour l'obtenir. Pas si long après 30 ans de domination. Le spectaculaire retournement de veste d'Al-Ahram au lendemain de la chute du raïs, avec une ligne éditoriale subitement devenue pro-révolution n'aura pas été suffisant pour leurrer les Égyptiens qui l'ont perçu comme le comble du ridicule.
Parallèlement, les tentatives d'annuler, ou au moins de minimiser l'importance du rassemblement de ce vendredi 1er avril, se sont multipliées la semaine dernière par voie de réseaux sociaux. La contre-révolution est encore ardemment animée par les forces de l'ancien régime, mais elles n'ont pas réussi à agiter l'épouvantail des Frères musulmans. Hier, sur la place Tahrir, ils n'étaient pas présents, et la mise en garde des manifestants leur était indirectement adressée.
Une question reste cependant sur toutes les lèvres. Comment, le tonitruant Zahi Hawass, secrétaire général du Conseil Suprême des Antiquités égyptiennes sous Moubarak, soupçonné de trafic et de prise d'intérêt personnel, et donc associé à la corruption de l'ancien régime, a-t-il bénéficié d'une promotion dans la nouvelle équipe gouvernementale pourtant "à l'écoute de la révolution"? Promu Ministre des antiquités, le mystère reste entier.  

vendredi 25 mars 2011

Un épais brouillard politique

Le premier ministre fait le tour des plateaux de télévision, honore les présentateurs vedettes par sa présence, se fend en déclarations diverses... Il n'empêche que la situation politique reste extrêmement confuse depuis le samedi 19 mars, après la tenue du referendum sur les amendements constitutionnels. Avec un malaise diffus et amère : celui de vivre, en silence, une contre-révolution. D'ailleurs, si c'était faux, Essam Sharaf  aurait déjà placé de nouveaux rédacteurs en chef dans les quotidiens gouvernementaux. Mais l'avancée révolutionnaire n'est, sur ce plan, pas très flamboyante.
Les jeunes femmes sont victimes des militaires.
La population attend toujours la déclaration du Conseil suprême des forces armées, aux commandes du pays depuis le 11 février, sur le calendrier politique et en particulier la date des prochaines élections parlementaires et présidentielles. Alors que les jeunes révolutionnaires du 25 janvier apparaissent désemparés et même dépassés par la victoire du "Oui", en raison de leur inexpérience politique de terrain face au mouvement des Frères musulmans socialement très implantés. Alors, comme par impuissance, ils imaginent sur un ton blagueur ce que pourrait être le futur de l'Égypte si cette force venait à réellement prendre le pouvoir. Une attitude qui trahit en réalité une inaptitude à évaluer la situation politique dans son ensemble.
Leurs manifestations se poursuivent, notamment pour réclamer le départ des doyens membres du PND (le parti de Moubarak) à l'Université du Caire, d'où étudiants et professeurs ont été violemment délogés par l'armée mercerdi dernier. Ce jour-même où l'équipe gouvernementale a approuvé une loi criminalisant les grèves et manifestations et tous ceux qui appellent à leur organisation. Sous peine de subir une sanction de 500 000 Livres Égyptiennes (60 000 € ) ou de la prison. Mercredi dernier c'était aussi la reprise des échanges boursiers au Caire, après 50 jours de suspension. Pour rassurer les investisseurs, il fallait bien qu'ils puissent compter sur un fonctionnement normal des entreprises avec des ouvriers sagement dédiés à la tâche.
Les Égyptiens croyaient vivre sous la loi martiale et voilà que le gouvernement approuve une loi qui ne sera pas passée par le parlement, puisqu'il n'existe plus.... Au niveau juridique, c'est aussi le flou complet.  Mais personne ne semble s'en soucier. Ce qui fait scandale en ce moment, et qui est passé sous silence par la presse gouvernementale, ce sont les tests de virginité effectués par l'armée sur les jeunes manifestantes.
Des faits qui révèlent l'animalité cruelle des actuels détenteurs du pouvoir, mais qui font aussi partie du grand social actuel : s'amuser à se faire peur. Les salafistes déclarent que la victoire du "Oui" au dernier référendum est celle de la religion, d'autres se demandent si l'Égypte pourrait connaitre un régime iranien. Mais rien, dans les manifestations en cours, sur les questions touchant le sensible futur politique du pays. Et même pas cette simple revendication: que la prochaine constitution, qui sera rédigée par une commission parlementaire, soit approuvée par référendum.

mardi 22 mars 2011

Décompte

C'est au Caire que les votes "Non" ont été les plus nombreux, lors du référendum du 19 mars. Mais ils n'ont remporté la majorité dans aucun des gouvernorats (Source Al-Ahram).

Le Caire 39.48%
Alexandrie 32.87%
Sharkiya 13.35%
Menya 23.37%
Dakahlia 20.28%
Beheira 12.28%
Kalyoubeya 18.99%
Gharbiya 21.1%
Giza 31.82%
Assiut 26.54%
Mounifeya 13.35%
Sohag 21.35%
Helwan 27.98%
6 Octobre 15.58%
Beni Suef 12.52%
Kafr El Sheikh 12.08%
Fayoum 9.75%
Qena 13.91%
Dumiat 17.22%
Ismaileya 22.11%
Assouan 17.12%
Port Said 29.20%
Louxor 18.47%
Suez 21.16%
Mer rouge 36.62%
Marsa Matrouh 7.58%
Nord Sinai 13.76%
Wadi El Gedid 9.05%
Sud Sinai 33.06%

dimanche 20 mars 2011

"Oui" aux amendements de la constitution

Après les concours du plus joli index marqué d'encre rouge hier (provoqués par l'émotion d'avoir vraiment voté pour la 1ère fois depuis 30 ans), les partisants du "Oui" aux amendements constitutionnels célèbrent bruyamment  leur victoire ce soir. Ils ont été 77.2% contre 22.8% pour le "Non". 45 millions d'électeurs, mais seuls 18 millions sont allés placer leur bulletin, soit une participation de 40%. On aurait pensé beaucoup plus, vu la longueur des files d'attente hier.
Déjà une blague circule par sms : "La nouvelle collection printemps-été 2011 de Tawheed We Noor arrive", du nom de cette chaîne de vêtements très répandue dans le pays, propriété d'un businessman Frère musulman, et spécialisée dans les tenues islamiquement correctes pour femmes.
"Oui"      (Photo : BBC)
Mais une certaine amertume plane dans l'air, même chez les partisans du "Oui".  Parcequ'ils n'ont pas été très réglo les Frères. Leur discours auprès des masses populaires délaissées par l'ancien régime s'est en bonne partie basé sur cet axe : la disparition de l'article 2 de la Constitution, si le "Non" l'emportait. Cet article précise que la loi est basée sur la Charia. Quand on connait la place de la religion dans la société égyptienne, il y a de quoi avoir des sueurs froides chez les plus fervents. Or de nombreux "Oui", n'ont pas fait leur choix sur une considération religieuse, et désapprouvent ce glissement de terrain opéré par les Frères. De leur côté, les révolutionnaires du 25 janvier tirent l'expérience de leur échec : il va falloir partir en campagne de proximité, en prévision des scrutins à venir. La place Tahrir et les réseaux sociaux ne suffisent plus à convaincre les populations reculées.

vendredi 18 mars 2011

Un raté pour les Frères?

Une pause avant le vote (Photo: AFP)
Silence dans les médias. Le Conseil supérieur des forces armées a interdit de faire mention du référendum sur les amendements constitutionnels, prévu demain. Même sur Twitter, quelques activistes s'engagent à ne plus en faire mention. Il faut peut-être bien ça pour calmer les esprits surchauffés. Les innombrables "Talk Shows" à la télé et leurs discussions déstructurées, ont brouillé un peu plus les esprits. D'ailleurs beaucoup se trouvent encore face au choix cornélien d'approuver ou pas ces amendements. D'un côté il y a l'aspiration à la liberté. Et de l'autre, le prix à payer. Avec le nombre de plaintes déposées ces jours-ci à la police militaire pour vol, destruction de bien immobilier, viol, assassinat, falsification de documents de propriété, le choix d'un retour rapide à la stabilité, et donc du "OUI" aux amendements, est attirant. Mais beaucoup n'ont pas encore tranché.
Dans un nouveau sms envoyé ce matin, l'armée défend le vote sur les amendements qui traduit pour elle "la mise de la place de la démocratie" tellement désirée. Elle parle probablement, comme le disait un activiste sur Tweeter, de " la démocratie du fast food qui ne provoquera qu'une indigestion". Dans cette propension à vouloir coûte que coûte la tenue du référendum demain, il y a les Frères musulmans. Car s'ils ne visent pas la Présidence de la république, ils veulent le Parlement. Signe de ces nouveaux temps de campagne, ils inséraient même ces derniers jours des prospectus appelant au "OUI" dans les journaux à grands tirages. Du concentré de marketing... D'autres prospectus étaient distribués pour un vote dans le même sens, sans mention de leur logo. Avec bien sûr un message pour culpabiliser les bonnes âmes : " Voter OUI est un devoir religieux". Mais selon les réactions dans divers milieux, ils ont peut-être poussé la machine de campagne un peu trop loin. Le premier raté de cette démocratie en rodage? 

mercredi 16 mars 2011

Les civils contre les sévices de l'armée

Hillary Clinton est en ce moment au Caire. Ce matin, son convoi blindé a débarqué sur la Place Tahrir pour voir de plus près ce lieu à la consonance devenue presque mythique, et où elle s'est félicitée du processus politique en cours. Mais hier soir, lors d'un face-à-face organisé dans son hôtel, la coalition des jeunes du 25 janvier n'a pas manqué de dénoncer les brutalités outrageantes de l'armée contre les manifestants.
Ce n'était au début qu'une rumeur parmi les dizaines d'autres produites quotidiennement. Puis les informations se sont précisées quand les coptes venus exprimer leur colère, plusieurs jours de suite devant la télévision publique à propos des églises incendiées, n'ont eu comme réponse que les bâtons électriques de l'armée. Avec évidement la menace sous-jacente de se faire tabasser par les "Baltaguis" (hommes de mains) à l'affût, prêts à surgir en cas de débordement.
L'image de l'armée se dégrade dans la population.
Car depuis que la Constitution a été suspendue le 13 février, c'est la loi martiale qui règne en Égypte. Les civils reçoivent donc une réponse militaire quand l'ordre, au milieu des scènes de chaos souvent provoquées par l'incivisme, doit être maintenu. Avec des excès qui expliquent la manifestation d'aujourd'hui, entamée face au syndicat des journalistes et poursuivie devant le musée du Caire, à quelques centaines de mètres. Ce musée du Caire, devenu dans son arrière-cour un centre de maltraitance à ciel ouvert. Avant que les manifestants soient parfois emmenés dans des lieux éloignés pour y recevoir un traitement très proche de la torture. Comme la jeune Samira Ibrahim qui s'est, selon son récit dans la presse, entendue menacée d'un délit de prostitution si sa virginité ne pouvait être prouvée. Les manifestants réclament donc la libération des personnes détenues et que les militaires arrêtent de juger les civils.
Au delà d'une image qui se dégrade de jour en jour, les militaires sont aussi face à des suspicions grandissantes de la population. Leurs habiles manœuvres semblent ne plus tromper personne. De quel côté sont-ils vraiment? Gamal Moubarak, le fils de l'ex-président, est encore en liberté. Il est pourtant considéré comme l'une des causes du soulèvement populaire, lui qui a bradé le pays à ses amis "hommes d'affaires". Il doit "exister une entente avec les militaires pour le laisser tranquille", ce raisonnement devient récurrent.
L'armée ne veut pas non plus d'un report du référendum sur les amendements constitutionnels, prévu le 19 mars. Car "elle ne veut pas garder le pouvoir" dit-elle sur un ton angélique, et "le remettre le plus vite possible aux civils" après les élections. Mais de quels civils s'agit-il? Sans leur donner le temps de s'organiser, de débattre et d'échanger des idées, ce seront les mêmes qu'avant le 11 février.

mardi 15 mars 2011

Le soleil sans les touristes

Le Son et Lumière restera sans public encore longtemps.
Les nouvelles pour le tourisme ne sont pas bonnes. Suite au départ précipité des visiteurs, au lendemain du déclenchement des affrontements entre la police et les manifestants le 25 janvier dernier, l'espoir d'accueillir à nouveau les européens sur le sol égyptien pour quelques jours de vacances, est repoussé de plusieurs mois. Les nouvelles arrivent directement du Salon International du Tourisme 2011 à Berlin, l'un des plus importants du secteur. Et elles contredisent les effets d'annonces sur la levée de l'interdiction, dans plusieurs pays occidentaux, de se rendre en Égypte. Car il ne suffit pas de rassurer les visiteurs potentiels sur la stabilité du pays. Le vrai pouvoir est entre les mains des Tour opérateurs. La décision sur l'opportunité financière de revenir dans le pays leur appartient. Dans le cas de l'Égypte, ils ont perdu beaucoup d'argent en raison des annulations de séjour en série provoquées par le soulèvement populaire. Peu importe donc la destination dans le pays, la visibilité politique sur plusieurs mois importe le plus. Sharm-el-Cheikh ou Hurgada, épargnées par les manifestants, ne s'en sortiront malheureusement pas mieux que les autres villes.
Les efforts du nouveau ministre du tourisme semblent donc être voués à l'échec. Visiter les "sites de la révolution" ou même inviter des personnalités médiatiques pour les voir s'émerveiller en direct sur la situation redevenue idéale au niveau sécuritaire, ne fera pas déplacer les familles à la recherche du soleil. Tout simplement parce que l'ensemble des tours opérateurs européens ne compte pas fouler la terre des Pharaons avant l'élection d'un nouveau Président de la république. Soit à l'issue d'un processus politique qui prendra plusieurs mois, voire une année entière. C'est ce qu'ils viennent d'affirmer à Berlin. Pour mieux être attirés, ils ont aussi posé des conditions tarifaires aux hôtels : des rabais minimum de 30%, avec une préférence pour une réduction de moitié des tarifs, devront être concédés sur les contrats déjà signés en 2010.  Reste à jouer la carte des visiteurs nationaux. Mais les directeurs d'hôtels doutent du succès.

dimanche 13 mars 2011

Le référendum qui menace la révolution

Pour El Baradei, le changement va trop vite.  (Photo : Aljazeera)
Avec le référendum sur les amendements constitutionnels, c'est le futur de la révolution qui se joue. Il est prévu le 19 mars, mais aura-t-il vraiment lieu? C'est la question qui se pose encore, à quelques jours de sa tenue. Car s'il est accepté par la majorité de la population, l'ancien régime consolidera l'assise dont il dispose encore. Le comité de révision de la Constitution formé quelques jours après la chute de Moubarak - qui ne comptait d'ailleurs aucune femme ni aucun membre de la communauté copte- a certes répondu à certaines demandes des manifestants. Ainsi et entre autres, l'article 77 limite désormais le mandat présidentiel à 4 ans tandis que l'article 139 impose la nomination d'un vice-président... Mais quelques opposants à l'ancien régime, comme Mohamed El Baradei, souhaiteraient que le référendum soit reporté dans l'attente d'une révision complète de la Constitution, puisque les amendements actuels ne sont qu'apposés à un système entièrement corrompu. A noter ici que ce sont cette fois les juges qui devraient superviser le scrutin conformément au nouveau texte constitutionnel, or ils semblent ne pas encore avoir été contactés.
El Baradei exprime, dans une sagesse qui peine à faire oublier son manque d'engagement dans la pré-révolution, la nécessité de former un Conseil présidentiel. Celui-ci serait en charge de rédiger une nouvelle Loi fondamentale avant la tenue d'élections législatives, puis présidentielles. L'intervalle supplémentaire permettrait aussi aux partis d'opposition de s'organiser ou même de se former.
Mais les Frères musulmans poussent dans le sens contraire.  Ils cherchent à sortir de la période de transition au plus vite, et organiser des élections législatives dont le résultat leur sera pour l'instant très favorable puisqu'ils représentent la seule force politique structurée. Le paradoxe de la révolution apparait alors au grand jour : les manifestants ont réussi à se défaire de Moubarak, pour ne voir revenir que l'ancien régime et ses vieilles pratiques... face à une opposition bien connue et réprimée pendant 30 ans ! 

mercredi 9 mars 2011

La tentation confessionnelle

Égyptiens, soyez vigilants !
Cette semaine, la violence est de retour dans le pays. Soit quelques jours après que la Sécurité d'État, l'un des fondements du régime Moubarak, ait été sérieusement malmenée par les manifestants. Curieuse coïncidence. Mais c'est le seul langage de ceux qui sentant la fin venir, se débattent pour garder la tête hors de l'eau. La violence, c'est leur savoir-faire, ils n'ont aucun autre argument. D'ailleurs sans eux, c'est le chaos. Personne n'est plus dupe, mais c'est le message qui doit passer.
La stratégie a commencé dans le gouvernorat de Helwan, connu pour ses cimenteries, au sud du Caire. Une église a été incendiée pour une romance entre un copte et une musulmane. Illégal, sauf si le jeune se convertit à l'islam. Cela arrive, mais c'est extrêmement rare. Mardi, les salafistes sont entrés dans le jeu, avec une manifestation devant le Conseil d'Etat pour réclamer "Camélia", cette copte convertie à l'islam il y a quelques mois afin de divorcer et depuis "kidnappée" dans un monastère, estiment-ils. Ces manifestants, quelques centaines, ont ensuite pris la direction de la place Tahrir où les femmes manifestaient à l'occasion de la journée du 8 mars, pour une meilleure représentation dans les discussions en cours sur les amendements constitutionnels. En milieu d'après- midi, des hordes de nervis sont arrivées pour disperser le rassemblement. A la tombée de la nuit, les affrontements se sont étendus sur la colline de Moqattam dont une partie est occupée par les chiffonniers, en majorité coptes, qui protestaient contre la mise à feu d'un de leurs lieux de culte. En tout 13 personnes ont trouvé la mort et 140 ont été blessées à l'issue des heurts entre chrétiens et musulmans. 
Salafistes devant le Conseil d'État.
Mercredi, la place Tahrir était encore occupée pour obtenir  le procés de l'ancien président Moubarak, la fin de l'état d'urgence, la libération des personnes arrêtées par les militaires et la dissolution de la Sécurité d'Etat. Mais c'était compter sans la pluie de cocktails Molotov et de caillasses des "Baltaguis", ces hommes du régime renversé, apparus soudainement sur les toits et rues avoisinantes. La place Tahrir est redevenue un champ de bataille... Avant que l'armée ne décrète le début du couvre-feu à 21 heures, au lieu de minuit.
Pour calmer l'extrême tension de la population des appels à débats sont lancés par sms. Ils sont organisés ce mercredi soir dans différentes églises du Caire et rassemblent diverses personnalités des deux confessions. Ces violences frontales ne sont que le fait de manipulations, elles ne se sont jamais manifestées au cours d'autres périodes difficiles traversées par l'Égypte. Le message doit être clair et compris, avant de tomber dans le piège.

dimanche 6 mars 2011

L'Etat touché au coeur

Documents déchiquetés (Photo: Youtube).
Avec la démission du 1er ministre Shafiq jeudi dernier, c'est sans aucun doute une nouvelle page de l'histoire égyptienne qui se tourne. Le départ de celui qui avait été désigné par Moubarak dans l'espoir de calmer les manifestants, a provoqué des mouvements de foules vers les immeubles de la Sécurité d'État (Amn Al Dawla en arabe). Redoutée et détestée par la population, c'est elle qui pendant 30 ans a scruté, analysé, rapporté les moindres faits et gestes de la population et fait disparaitre les citoyens suspects, ceux qui présentaient une menace pour la stabilité du régime. Même si la plupart des documents compromettants ont été détruits avant le départ de Shafiq, hier des snipers étaient encore postés sur les toits pour empêcher les manifestants d'avoir accès aux archives. Les coups de feu ont conduit l'armée à intervenir. Une fois à l'intérieur, le sentiment est le même que celui des libyens découvrant les installations secrètes de Kadhafi. On y découvre des cellules, de longues allées souterraines de dossiers, des fausses portes, et même des tombes...
Certains, ébahis, se saisissent des documents sur les étagères et se mettent à lire les rapports dressés sur des particuliers ou des affaires sérieuses comme l'attaque meurtrière d'une église d'Alexandrie en janvier dernier. Des vidéos sont saisies, certaines seraient même des "sex-tapes", probablement objet de chantage sur quelques personnalités en compagnie compromettante. On se demande comment elles ont été tournées...
Incrédules, des manifestants décident d'emporter des dossiers à la maison à la recherche de preuve d'atteintes aux droits de l'homme, pour ensuite attaquer en justice les responsables impliqués. La tendance a poussé l'armée à envoyer par sms son communiqué n°27, incitant les plus zélés à lui faire confiance sur la poursuite et la sanction des anciennes personnalités du régime. Le dépouillement a commencé dans la ville d'Alexandrie, pour ensuite monter au Caire et il touche maintenant tout le pays.
Les jeunes de la place Tahrir Shafiq ont longtemps réclamés le remplacement de Shafiq, qui s'accrochait au poste. Probablement à la demande de Moubarak, conscient que ce dernier fidèle officiel constituait le dernier rempart avant de toucher au cœur la citadelle et supprimer le système à jamais.
Désormais, c'est un projet de Wikileaks version égyptienne qui attend de voir le jour grâce aux documents saisis. Il risque d'être bien plus passionnant que l'original.

mercredi 2 mars 2011

Un journal dans la tempête

Les salariés en assemblée
Depuis quatre jours, le vénérable groupe de presse Al-Ahram, cette institution plus que centenaire, est dans la tourmente. Son syndicat qui regroupe les 10 000 employés de la maison a décidé, après les trente années de règne Moubarak, de faire bouger les lignes et rendre les choses socialement plus justes. Les salariés du quotidien en langue arabe (le groupe compte aussi des publications hebdomadaires en langue anglaise et française) se montrent excédés par la gestion des affaires, gangrenée par le népotisme et la corruption. Ils réclament donc une remise à plat du fonctionnement, sur un ton vindicatif encore inimaginable il y a un mois. Pour donner une idée de la marche des choses dans le groupe, un ancien Président directeur général touchait encore il y quelques années une commission de 10% sur les annonces publicitaires. Les recettes annuelles de la publicité dans le journal s'élèvent à près de 400 millions de  Livres Égyptiennes (50 millions d'Euros), alors que la plupart des employés sont condamnés à ne toucher que 100 Euros par mensuels. 
Mais comment pouvaient-ils contester ces injustices, dont la plupart répondaient d'ailleurs à la législation en vigueur? Il aura fallu la révolution du 25 janvier pour voire naître l'espoir de les éradiquer.
Aujourd'hui l'ensemble du personnel de la "Fondation", comme elle est appelée en arabe, tiennent leurs assemblées dans une immense salle de conférence flambant neuve. Sur l'estrade, le micro passe de mains en mains entre les représentants des parties, qui s'échangent revendications, accusations et réponses à celles-ci. Les noms des responsables considérés comme les plus corrompus sont lancés, comme jetés dans une arène de félins affamés. Le goût de la vengeance est euphorisant, dans les applaudissement nourris de l'audience.
C'est en réalité une véritable Assemblée générale constituante pour les droits des salariés qui se tient. La tête du rédacteur en chef est réclamée ainsi que celle de tous les autres haut responsables. Des femmes s'indignent de voir leur évolution de carrière grillée par l'arrivée subite de la fille ou nièce d'un ponte, parachutée en toute arrogance et dans l'ignorance la plus totale de la priorité à l'ancienneté. D'autres réclament que les salaires du service publicité soient revus à la baisse : ils sont jusqu'à 200 fois supérieurs à ceux d'un salarié moyen! Sans compter ces "Conseillers de la rédaction", rétribués outrageusement pour services.... inexistants. Une liste de douze points essentiels à revoir dans la gestion du groupe circulent dans l'assemblée. Un peu trop, aurait considéré le représentant de la direction qui a tenté plus d'une fois de quitter les discussions houleuses. Une direction qui a pourtant retourné sa veste depuis le 11 janvier et la chute de Moubarak. Complètement inféodée à l'ancien régime, la libération mentale ne sera pas aussi rapide.

samedi 26 février 2011

Police et violence, un cocktail persistant

Un manifestant violenté
Le gouvernement de transition s'excuse platement pour les fautes et le manque de considération endurés par les citoyens sous l'ère Moubarak. Il qualifie tout cela de "péchés". Mais les vieilles habitudes sont coriaces surtout quand il s'agit de violence et de maltraitance. Jeudi dernier, c'est un des milliers de chauffeurs de micro-bus du Caire, réputés pour leur conduite agressive et leur ignorance totale des plus élémentaires règles du code de la route, qui a fait les frais de la violence policière dans Maadi, un quartier du sud de la ville.  L'altercation a viré au drame puisque le policier aurait mortellement tiré sur le chauffeur. Les alentours ont été interdits à la circulation pendant plusieurs heures et comme pour calmer la tension, de multiples rumeurs ont immédiatement circulé par sms affirmant que le chauffeur n'aurait été que blessé. Il n'empêche que le ressentiment reste élévé au sein de la population à l'égard des forces policières, qui n'ont à ce jour d'ailleurs pas encore réinvesti totalement les rues du Caire laissant des comportements inciviques se développer.
Quelques jours avant, c'est le ministère de l'intérieur qui était en feu. Les policiers qui réclamaient des hausses de salaires et ceux qui auraient tout simplement été radiés du corps des fonctionnaires en raison de leur "comportement inadéquat" face aux manifestants le 25 janvier dernier, n'ont pas apprécié le traitement réservé par leur hiérarchie. C'est en quelque sorte l'arroseur arrosé. Mais d'autres pensent, autre signe de la méfiance ambiante, que c'est plutôt le ministère lui-même qui aurait incendié les locaux afin d'effacer toutes les traces compromettantes de corruption ou de népotisme laissées par Habib El Adli, l'ancien ministre de l'intérieur aujourd'hui placé en détention.
Il y aussi ces familles d'Alexandrie qui se plaignent des visites impromptues de la police, venue proposer une somme d'argent pour réparer la disparition d'un proche pendant les manifestations. Sous réserve de l'abandon de leurs poursuites judiciaires pour sanctionner les coupables, cela va de soit.
Aujourd'hui, c'est même l'armée qui présente ses excuses pour "les confrontations non intentionnelles" avec les manifestants pacifiques de la place Tahrir venus réclamer hier la disparition des figures de l'ancien régime dans le gouvernement remanié en fin de semaine. Preuve que non seulement le manque de confiance est profondément ancré, mais qu'il menace aussi d'atteindre maintenant un corps de l'État qui a su, au cours des derniers événements, conserver intact le respect qu'il inspirait à la population.


mardi 22 février 2011

Culture et intégrité

Mohamed El Sawy
L'Égypte cherche des nouvelles têtes pour diriger ses ministères. Mais où trouver les compétences qui refléteront les attentes de changement de la population, alors que le Parti National Démocrate (PND) de Moubarak avait une écrasante main mise sur le pays? L'exemple du ministère de la culture reflète bien les tâtonnements en cours. Pour remplacer Farouk Hosni, devenu l'intouchable symbole du système après 25 ans de loyaux services, il y a d'abord eu Gaber Asfour choisi par Moubarak. Le poste laissé vacant après sa rapide démission, c'est le nom de Mohamed Al Sawy qui a été avancé hier. C'est une figure célèbre au Caire, grâce à la création en 2003 d'un centre culturel, le "Culture Wheel Al Sawi", devenu un incontournable lieu d'échange, de partage et de découverte artistique. Sa bataille a été longue et pénible pour lui donner vie sans passer par la corruption. D'où sa popularité auprès de la jeunesse et dans les cercles culturels étrangers.
Mais l'ingénieur Al Sawy, que ses jeunes admirateurs appelaient déjà hier "Monsieur le ministre", est aussi un personnage aux idées fourmillantes. Pour défaire les égyptiens de leur aliénation à la voiture malgré les embouteillages interminables de la capitale, il veut remettre le vélo à la mode. Comment? D'abord en proposant aux étudiants d'utiliser le deux-roues dans les enceintes universitaires. Pour que la pratique se répandent ensuite naturellement dans la rue. Car son crédo c'est surtout l'éducation, plus à même selon lui d'apporter la liberté, d'éclairer les Égyptiens. Le Centre culturel Al Sawy en a fait sa spécialité avec des dizaines d'ateliers proposés chaque mois au bénéfice des enfants, adolescents et jeunes adultes : cours de dessin, d'écriture, aide à l'entretien de recrutement, sculpture, yoga, homéopathie, cours de photo et cinéma, conférences politiques, de développement personnel, etc... Alors, en accord avec lui-même, il ne pouvait que refuser les clés du ministère de la culture. Celui qui, sous Farouk Hosni, a proposé il y a quelques mois un espace d'expression aux jeunes avec l'organisation d'un festival de graffitis... limité à l'utilisation des trois couleurs du drapeau égyptien. En cas d'abandon de sa casquette de simple citoyen, Al Sawy aimerait plutôt agir en aval pour éviter cette asphyxie en amont : si les anciennes figures du régime disparaissent, il se voit plutôt au ministère de l'éducation. A ce poste, il organiserait aussitôt un "Programme National pour l'Education " qui ferait appel aux meilleurs talents de la société pour éduquer les enfants. Ceux-ci deviendraient enseignants un jour par semaine pour garantir le bon niveau de l'éducation et réduire les effectifs dans les classes. Mais pour l'heure, et conséquence de cette intégrité peu courante qui sonne encore bien étrange, un fauteuil de ministre reste vide.    


lundi 21 février 2011

Visions actuelles

La rue et ses nouveaux visages

Dés le 12 février, les portraits géants de Moubarak étaient retirés de l'espace public et le pays sans président officiel s'est retrouvé dénudé. Comme pour combler le vide laissé dans la conscience collective, les visages des jeunes tombés pendant les 18 jours de révolte ont pris place sur les façades d'immeubles ou accrochés entre deux poteaux. Avec les chars postés en moindre nombre dans les rues, ces martyrs viennent rappeler que malgré les rênes du pouvoir confiées à l'armée, le pays traverse une période de transition et que la révolution demande à être poursuivie en leur mémoire. Ces initiatives doivent recevoir l'aval des "présidents de quartier", entités administratives gangrenées par la corruption sous Moubarak. Rien n'indique qu'à ce niveau les choses soient différentes 10 jours après la chute du raïs. Mais les administrés se montrent plus envahissants dans la gestion gouvernementale de leurs affaires, une pression qui inspirera peut-être le changement vers une vision plus respectueuses des biens publics. Ce qui est pour l'instant certain, c'est que la rue dans laquelle habitait chacun de ces martyrs portera bientôt leur nom.

Le drapeau national revisité
Et puis il y a ces discussions autour du drapeau. L'aigle, ce symbole de souveraineté, de force et de majesté, placé sur la bande blanche, entre le rouge et le noir, ne plait plus. Du moins à quelques uns. "Après tout c'est une révolution, alors changeons aussi nos couleurs nationales" clament-ils. Reste à trouver un consensus sur cette question qui demeure bien sûr secondaire, tant la tâche pour refaçonner le pays est immense. Mais certains ont déjà une petite idée, valable le temps d'une transition : pourquoi ne pas, par exemple ajouter une bande horizontale, en dessous de la noire, aux couleurs du treillis de l'armée égyptienne? Camouflage et discrétion dans le combat, obligent ici à opter des couleurs se mariant à celle du sable. Une proposition qui, en une nuit, s'est retrouvée sur les piliers de ponts, imposée dans le paysage urbain par quelques jeunes bien intentionnés au plus grand nombre. Pour ces questions esthétiques, une votation de quartier aurait été bienvenue. Mais là aussi le chemin est encore long.

dimanche 20 février 2011

Le Colonel et le 1er ministre dans la ligne de mire

(Photo : Keystone) 
C'est un pays limitrophe, alors malgré le "black-out" imposé aux médias, quelques informations filtrent quand même de Libye. Et elles font part d'une rare violence, même comparées à celles de la police égyptienne pendant le soulèvement. Les manifestations pacifiques tournent au carnage, avec selon des rumeurs, l'arrivée par avion de plusieurs centaines de mercenaires venus d'Afrique et payés 30 000 dollars pour contrer, dans un bain de sang, les protestataires de Benghazi, la deuxième ville du pays où plus de 170 personnes ont été tuées depuis mardi dernier. Devant l'ambassade de Libye au Caire, des centaines de personnes manifestent pour dénoncer la gestion de la crise, et veulent "le renversement du Colonel". C'est Khadafi le révolutionnaire... face à la révolution. Une action de solidarité s'est en parallèle organisée pour envoyer un convoi de médicaments et autres besoins de première nécessité vers la Libye. Il serait en ce moment pas très loin de Salloum, ville égyptienne sur la côté méditerranéenne connue pour son commerce et sa contrebande.
Ahmed Shafiq, 1er ministre égyptien
 De son côté, Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, est  fortement critiqué par la population pour son positionnement jugé un peu trop mou quant aux répressions dans la région. Un temps perçu comme possible candidat à l'élection présidentielle égyptienne, il se fait très silencieux depuis qu'il est venu apporter en personne son soutien aux manifestants de son pays, au plus fort de la révolte. Mais âgé de 73 ans il pourrait être tout simplement écarté par le projet d'amendement constitutionnel fixant l'âge limite à l'élection de la présidence de la république à 70 ans.
Au delà, c'est toute l'actuelle équipe gouvernementale égyptienne qui suscite le mécontentement général. Les pions de Moubarak sont de plus en plus mal perçus pour instaurer le changement, d'autant que le 1er ministre (et ancien chef d’état-major de l’armée de l’air) Ahmed Shafiq est en contact téléphonique constant avec l'ancien président...Un appel à manifester le mardi 22 février vient d'être lancé pour réclamer le départ de l'équipe aux commandes du pays. Place Tahrir, au moins un million de personnes sont attendues.