samedi 26 février 2011

Police et violence, un cocktail persistant

Un manifestant violenté
Le gouvernement de transition s'excuse platement pour les fautes et le manque de considération endurés par les citoyens sous l'ère Moubarak. Il qualifie tout cela de "péchés". Mais les vieilles habitudes sont coriaces surtout quand il s'agit de violence et de maltraitance. Jeudi dernier, c'est un des milliers de chauffeurs de micro-bus du Caire, réputés pour leur conduite agressive et leur ignorance totale des plus élémentaires règles du code de la route, qui a fait les frais de la violence policière dans Maadi, un quartier du sud de la ville.  L'altercation a viré au drame puisque le policier aurait mortellement tiré sur le chauffeur. Les alentours ont été interdits à la circulation pendant plusieurs heures et comme pour calmer la tension, de multiples rumeurs ont immédiatement circulé par sms affirmant que le chauffeur n'aurait été que blessé. Il n'empêche que le ressentiment reste élévé au sein de la population à l'égard des forces policières, qui n'ont à ce jour d'ailleurs pas encore réinvesti totalement les rues du Caire laissant des comportements inciviques se développer.
Quelques jours avant, c'est le ministère de l'intérieur qui était en feu. Les policiers qui réclamaient des hausses de salaires et ceux qui auraient tout simplement été radiés du corps des fonctionnaires en raison de leur "comportement inadéquat" face aux manifestants le 25 janvier dernier, n'ont pas apprécié le traitement réservé par leur hiérarchie. C'est en quelque sorte l'arroseur arrosé. Mais d'autres pensent, autre signe de la méfiance ambiante, que c'est plutôt le ministère lui-même qui aurait incendié les locaux afin d'effacer toutes les traces compromettantes de corruption ou de népotisme laissées par Habib El Adli, l'ancien ministre de l'intérieur aujourd'hui placé en détention.
Il y aussi ces familles d'Alexandrie qui se plaignent des visites impromptues de la police, venue proposer une somme d'argent pour réparer la disparition d'un proche pendant les manifestations. Sous réserve de l'abandon de leurs poursuites judiciaires pour sanctionner les coupables, cela va de soit.
Aujourd'hui, c'est même l'armée qui présente ses excuses pour "les confrontations non intentionnelles" avec les manifestants pacifiques de la place Tahrir venus réclamer hier la disparition des figures de l'ancien régime dans le gouvernement remanié en fin de semaine. Preuve que non seulement le manque de confiance est profondément ancré, mais qu'il menace aussi d'atteindre maintenant un corps de l'État qui a su, au cours des derniers événements, conserver intact le respect qu'il inspirait à la population.


mardi 22 février 2011

Culture et intégrité

Mohamed El Sawy
L'Égypte cherche des nouvelles têtes pour diriger ses ministères. Mais où trouver les compétences qui refléteront les attentes de changement de la population, alors que le Parti National Démocrate (PND) de Moubarak avait une écrasante main mise sur le pays? L'exemple du ministère de la culture reflète bien les tâtonnements en cours. Pour remplacer Farouk Hosni, devenu l'intouchable symbole du système après 25 ans de loyaux services, il y a d'abord eu Gaber Asfour choisi par Moubarak. Le poste laissé vacant après sa rapide démission, c'est le nom de Mohamed Al Sawy qui a été avancé hier. C'est une figure célèbre au Caire, grâce à la création en 2003 d'un centre culturel, le "Culture Wheel Al Sawi", devenu un incontournable lieu d'échange, de partage et de découverte artistique. Sa bataille a été longue et pénible pour lui donner vie sans passer par la corruption. D'où sa popularité auprès de la jeunesse et dans les cercles culturels étrangers.
Mais l'ingénieur Al Sawy, que ses jeunes admirateurs appelaient déjà hier "Monsieur le ministre", est aussi un personnage aux idées fourmillantes. Pour défaire les égyptiens de leur aliénation à la voiture malgré les embouteillages interminables de la capitale, il veut remettre le vélo à la mode. Comment? D'abord en proposant aux étudiants d'utiliser le deux-roues dans les enceintes universitaires. Pour que la pratique se répandent ensuite naturellement dans la rue. Car son crédo c'est surtout l'éducation, plus à même selon lui d'apporter la liberté, d'éclairer les Égyptiens. Le Centre culturel Al Sawy en a fait sa spécialité avec des dizaines d'ateliers proposés chaque mois au bénéfice des enfants, adolescents et jeunes adultes : cours de dessin, d'écriture, aide à l'entretien de recrutement, sculpture, yoga, homéopathie, cours de photo et cinéma, conférences politiques, de développement personnel, etc... Alors, en accord avec lui-même, il ne pouvait que refuser les clés du ministère de la culture. Celui qui, sous Farouk Hosni, a proposé il y a quelques mois un espace d'expression aux jeunes avec l'organisation d'un festival de graffitis... limité à l'utilisation des trois couleurs du drapeau égyptien. En cas d'abandon de sa casquette de simple citoyen, Al Sawy aimerait plutôt agir en aval pour éviter cette asphyxie en amont : si les anciennes figures du régime disparaissent, il se voit plutôt au ministère de l'éducation. A ce poste, il organiserait aussitôt un "Programme National pour l'Education " qui ferait appel aux meilleurs talents de la société pour éduquer les enfants. Ceux-ci deviendraient enseignants un jour par semaine pour garantir le bon niveau de l'éducation et réduire les effectifs dans les classes. Mais pour l'heure, et conséquence de cette intégrité peu courante qui sonne encore bien étrange, un fauteuil de ministre reste vide.    


lundi 21 février 2011

Visions actuelles

La rue et ses nouveaux visages

Dés le 12 février, les portraits géants de Moubarak étaient retirés de l'espace public et le pays sans président officiel s'est retrouvé dénudé. Comme pour combler le vide laissé dans la conscience collective, les visages des jeunes tombés pendant les 18 jours de révolte ont pris place sur les façades d'immeubles ou accrochés entre deux poteaux. Avec les chars postés en moindre nombre dans les rues, ces martyrs viennent rappeler que malgré les rênes du pouvoir confiées à l'armée, le pays traverse une période de transition et que la révolution demande à être poursuivie en leur mémoire. Ces initiatives doivent recevoir l'aval des "présidents de quartier", entités administratives gangrenées par la corruption sous Moubarak. Rien n'indique qu'à ce niveau les choses soient différentes 10 jours après la chute du raïs. Mais les administrés se montrent plus envahissants dans la gestion gouvernementale de leurs affaires, une pression qui inspirera peut-être le changement vers une vision plus respectueuses des biens publics. Ce qui est pour l'instant certain, c'est que la rue dans laquelle habitait chacun de ces martyrs portera bientôt leur nom.

Le drapeau national revisité
Et puis il y a ces discussions autour du drapeau. L'aigle, ce symbole de souveraineté, de force et de majesté, placé sur la bande blanche, entre le rouge et le noir, ne plait plus. Du moins à quelques uns. "Après tout c'est une révolution, alors changeons aussi nos couleurs nationales" clament-ils. Reste à trouver un consensus sur cette question qui demeure bien sûr secondaire, tant la tâche pour refaçonner le pays est immense. Mais certains ont déjà une petite idée, valable le temps d'une transition : pourquoi ne pas, par exemple ajouter une bande horizontale, en dessous de la noire, aux couleurs du treillis de l'armée égyptienne? Camouflage et discrétion dans le combat, obligent ici à opter des couleurs se mariant à celle du sable. Une proposition qui, en une nuit, s'est retrouvée sur les piliers de ponts, imposée dans le paysage urbain par quelques jeunes bien intentionnés au plus grand nombre. Pour ces questions esthétiques, une votation de quartier aurait été bienvenue. Mais là aussi le chemin est encore long.

dimanche 20 février 2011

Le Colonel et le 1er ministre dans la ligne de mire

(Photo : Keystone) 
C'est un pays limitrophe, alors malgré le "black-out" imposé aux médias, quelques informations filtrent quand même de Libye. Et elles font part d'une rare violence, même comparées à celles de la police égyptienne pendant le soulèvement. Les manifestations pacifiques tournent au carnage, avec selon des rumeurs, l'arrivée par avion de plusieurs centaines de mercenaires venus d'Afrique et payés 30 000 dollars pour contrer, dans un bain de sang, les protestataires de Benghazi, la deuxième ville du pays où plus de 170 personnes ont été tuées depuis mardi dernier. Devant l'ambassade de Libye au Caire, des centaines de personnes manifestent pour dénoncer la gestion de la crise, et veulent "le renversement du Colonel". C'est Khadafi le révolutionnaire... face à la révolution. Une action de solidarité s'est en parallèle organisée pour envoyer un convoi de médicaments et autres besoins de première nécessité vers la Libye. Il serait en ce moment pas très loin de Salloum, ville égyptienne sur la côté méditerranéenne connue pour son commerce et sa contrebande.
Ahmed Shafiq, 1er ministre égyptien
 De son côté, Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe, est  fortement critiqué par la population pour son positionnement jugé un peu trop mou quant aux répressions dans la région. Un temps perçu comme possible candidat à l'élection présidentielle égyptienne, il se fait très silencieux depuis qu'il est venu apporter en personne son soutien aux manifestants de son pays, au plus fort de la révolte. Mais âgé de 73 ans il pourrait être tout simplement écarté par le projet d'amendement constitutionnel fixant l'âge limite à l'élection de la présidence de la république à 70 ans.
Au delà, c'est toute l'actuelle équipe gouvernementale égyptienne qui suscite le mécontentement général. Les pions de Moubarak sont de plus en plus mal perçus pour instaurer le changement, d'autant que le 1er ministre (et ancien chef d’état-major de l’armée de l’air) Ahmed Shafiq est en contact téléphonique constant avec l'ancien président...Un appel à manifester le mardi 22 février vient d'être lancé pour réclamer le départ de l'équipe aux commandes du pays. Place Tahrir, au moins un million de personnes sont attendues.